21 juin 2024
De l’enfance à l’écriture, un espace infini, des circonvolutions, des anfractuosités, des chutes, des rebondissements, des zigzags et parfois du vide. Des errances à n’en plus finir, des questions, des peurs, des sanglots.
L’enfance d’abord, lieu mythique ou rêvé comme si elle n’avait jamais existé, puisque je n’en avais pas conscience. Lieu de douleurs et de souvenirs perdus, je n’en garde que des traces dans mes yeux quand s’y reflètent des images comme dans un film dont la pellicule serait montée à l’envers, des traces sur ma peau quand je tombai dans les épines et que ma mère disait : va ! ça t’apprendra !
Apprendre quoi ? Je ne savais pas lire entre les lignes. Je me cognais à toutes les évidences que les adultes présentaient comme des passages obligés. Je n’en retiens que la souffrance, une privation de liberté, un manque d’espace intérieur où me loger. Les parents savaient tout, même la pauvreté, même le froid, même les injustices. Je subissais leurs renoncements, il me fallait apprendre, me situer là où je ne risquais rien, mais dans les jupes de ma mère, seulement dans les bras de mon père. Eux seuls me consolaient. Pour le reste, j’avançais à tâtons, du gîte familial, aux champs, à l’église, puis à l’école. Les institutions donnaient leurs ordres tandis que je me perdais dans la plus petite ornière, ébahie de beauté si un brin d’herbe venait à caresser le dos d’une fourmi, petite ouvrière organisée qui ne semblait pas craindre le joug de la tradition. Toute petite et toute entière, elle marchait dans les pas millénaires de ses congénères.
A l’école un jour sur le tableau noir, la maîtresse avait écrit : « l’espace fond comme le sable coule entre les doigts »
J’avais d’abord recopié la phrase, c’était d’ailleurs la consigne je crois. Je n’y comprenais rien, sauf que j’aimais bien le sable et je voyais bien l’image de son glissement entre les petits doigts ouverts qui jouent à retenir, puis à lâcher, la pluie des grains de quartz, tout ronds, tout dorés, les garder encore, et ouvrir en grand la main jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. C’est là que l’écriture m’est apparue : « comme un espace qui fond, comme du sable qui coule entre les doigts ».
Aussi, à défaut de comprendre ou de délimiter les zones de droit ou de non droit que l’enfant pouvait s’approprier pour exister ailleurs que dans le terrain réservé aux adultes, ou à la loi, ces tables écrites, j’ai recopié la phrase plusieurs fois puis je me la récitais mentalement, comme un mantra : « l’espace fond comme le sable coule entre les doigts »
Mon cahier devint l’endroit d’un copié-collé d’abord répétitif puis le lieu intime d’un passage retrouvé entre le monde et moi, un secret, une plongée intérieure dans l’antre-soi.
Les mots à eux seuls devinrent des clés, le sésame pour passer d’un lieu contraint à un autre, imaginaire et ludique. J’apprenais à jouer. Si ma mère me surprenait et me tapait sur les doigts en m’intimant de ne pas rester là à ne rien faire, et si je lui répondais et qu’elle ordonnait : tais-toi », je me rangeais à son avis. En apparence. Le soir, à la lueur de la bougie dans notre chaumière, je recopiais encore la phrase du sable et j’inventais d’autres histoires, toutes rangées dans l’espace intérieur de mes rêveries. De quoi me faire grandir très vite. Si je ne connaissais pas la ruse du haricot magique, ou la peur du petit chaperon rouge, ou les merveilles d’Alice, je traçais de mes doigts sur le sable des hiéroglyphes ou autres signes incompréhensibles pour autrui Ma liberté s’inscrivait sur fond de rébellion.
Passer d’un lieu enfantin hérité d’une histoire incertaine à celui de l’âge adulte par le truchement de l’écriture d’abord recopiée, puis à celle plus aboutie d’un corps constitué de réel et d’imaginaire, laisse des traces aujourd’hui.
Je suis là, j’écris, et l’enfance trouée tout à coup revient, raccommodée de sa souffrance par le passage du temps, qui se fond dans l’existence, comme du sable blond, du sable doré.
« l’espace fond comme le sable coule entre les doigts »
Pas pleurer, même si le sable çà pique les yeux. De l’enfance à l’écriture, une blessure.
Chantal Nauleau Gantier
Bol d’écriture du 26/04/2024 – Thème : le lichen, après lecture de quelques pages de « Quand les montagnes dansent » d’Olivier Renaud.
1/
Je suis un lichen, je ne suis jamais seul, mon univers balance entre ma nature de champignon, immobile, dormant et mon esprit lié aux algues, leur sérénité et leur doux balancement.
Je flirte avec la pierre dont je me nourris et que je colore discrètement en répandant mon thalle. Nous, tous ensemble, les lichens, nous formons comme un harmonieux patchwork et notre présence si ancienne patine la roche et souligne sa noblesse.
Point d’impatience en moi ! Ma vie saxicole ne me le permet pas. Je grandis pourtant, je suis déjà vieux en naissant. Tout petit je m’étire délicatement, je pousse mon moi d’algue sur mon rocher, sans autre but que de m’expanser timidement et de trouver ma place parmi les autres lichens, tout serré dans leurs couleurs… nous nous mélangeons.
Parfois un vent catabatique nous rappelle à la réalité de ce lieu antarctique, froid, sec et nous porte à quelque distance, vers l’inconnu. La déshydratation et la cryptobiose me guettent. Ce n’est pas grave, je suis un lichen philosophe. Le vent est catabatique et moi, je suis presque éternel. Je fais face comme tout ceux qui fréquentent cette planète. Comme pour beaucoup d’entre eux, ma conscience en est mesquine, aveugle à la beauté du monde. Cependant sur ma roche, lentement, à ma manière discrète, j’y participe. Merveille des merveilles.
2/ Acrostiche, soit un mot, soit une phrase, soit comme on veut.
Lenteur
Invisible
Crustacé végétal
Horde rampante
Eternelle
Nouveauté
Le lichen a décidé,
de quitter son rocher
Intrépide il entraine son
Champignon dans sa vadrouille,
Horrifiée l’algue proteste,
Elle, elle l’aime son caillou, et
Ni vent, ni lichen ne l’en feront bouger !
Lichen idéal et Chill, Humanité Envoutée, et Naphtaline !
3/ Scryptoclip :
Grand-père est tatillon, limite maniaque. Bourru il grommèle, les petits l’adorent et en redemandent.
Du chocolat noir, sec, il se casse comme un fagot, fond à peine en bouche, se fait désirer puis soudain est tout en saveurs.
Le pastis ne fait pas le poids face au chocolat ! Ce goût d’anis apre et féroce semble indélogeable, c’est mal connaître le chocolat !
Mais du camion ou du bateau, de par les routes au creux des vagues voguent nos objets, nos caprices et nos envies.
Jusqu’à passer au large d’Etretat, l’éléphant éternel les regarde voguer et du haut de sa sagesse, il rumine de la folie des hommes et de la beauté du soleil couchant sur l’horizon bleuté.
L’oiseau perché a trop voleté, le soleil couchant, le ciel, le vent, l’ont épuisé. Alouette en haut du chant, du champs, tu y laisses ton souffle !
Box, cheval, galop dans le vent, retour, vite, le foin, la paille odorante, l’odeur du cuir et du bois, c’est donc cela le bonheur !
On y arrive, en haut du sommet ! Le soleil nous y attend, ici tout est extrême, sa clarté et notre fatigue après l’effort !
Catherine K.
Atelier d’écriture « Bols d’air » 5 juillet 2024
Consigne : Composer un texte avec « Voilà que ça recommence » … Y insérer les mots suivants : Douce France, crache dans la soupe, bafouillement, pain d’épices, bedaine, godasses, bruit de grelot, ratés du cœur, yeux des enfants, oriflamme, triste cul
Voilà que ça recommence ! la France en déconfiture, le bafouillement des gens, ces ratés du cœur quand on leur dit, encore, qu’ils n’en ont pas le monopole. Ça recommence les bruits de grelot, les pimpon les oriflammes et leurs slogans : « boutez les gens hors de France, dégagez, faites de la place, sinon vous serez brûlés comme Jeanne d’Arc en son temps, Hors de ma vue !!! Dansez autour du feu gens bien-pensant qui nous font entendre les bruits de leurs godasses ! avec leurs grosses bedaines bien nourries tiens ! avec le pain des français, bien engraissés, non pas de la peine mais de la haine !
Ô ma douce France, chanson de mon enfance qu’es-tu devenue ? Moi qui croyais, comme quand on lit dans les yeux des enfants, que c’était fini tout çà, le fascisme tiens ! le racisme, l’antisémitisme. Non ! voilà que ça recommence ! Tristes sires, triste misère, vous y allez tous de votre refrain : les étrangers dehors ! ça craint ! où étiez-vous cachés pour ainsi ressortir de la besace de vos tripes, les pires anathèmes, on est au moyen-âge ou quoi ? En ce temps-là il y avait des cracheurs de feu, vous, vous crachez dans la soupe ! Vous tournez casaque, vous retranchez derrière les mots, peu courageux à vrai dire, vous ânonnez, tranchez vos idées comme des saucissons, tristes culs ! On dit que vous êtes pauvres, ou mal aimés, que vous avez peur, de tout en vrai, de tout ce qui bouge, les images à la télé par exemple qui font du barouf dans les salles à manger, et ces P… d’étrangers ! Vous suivez l’opinion dominante, celle qui éructe que les autres, les étrangers de préférence, les arabes, ou les juifs ils vous empêchent de vivre ou ils vous prennent tout, non ? Une fois qu’ils seront dehors, vous paierez l’essence moins chère, c’est tout ? Vous n’avez pas compris que l’on vous ment et de pain d’épices vous n’en aurez pas davantage. Le totalitarisme, une fois installé, va vous rendre la monnaie de votre pièce, vous n’aurez pas le temps de dire ouf ! Votre haine n’aura servi à rien d’autre qu’à vous avilir, vous salir un peu plus. Que faut-il faire alors ? Se taire ? Ne pas espérer qu’un jour, vous deviendrez riches à votre tour et que, plus que jamais, vous ne plus humiliés ?
Sûrement pas, parlez à tout va, racontez vos fatigues, vos colères, vos impasses, battez le pavé mais ne croyez pas ce que l’on vous raconte ! J’irai marcher à vos côtés, et chanter, on finira bien par se relever !
Hier, j’ai aidé un jeune homme érythréen, Tesfaye, qui a fui la guerre, la torture, la faim. Je lui ai trouvé un petit boulot. Dans ses yeux, vous savez comme quand on lit dans les yeux des enfants, il y avait tout l’or du monde ! il a pleuré, pas de ces larmes fleuves, non, il a pleuré comme il pleut parfois, doucement, lentement. Il avait presque honte. Puis il a dit, le regard brillant avec des étoiles plantées dedans : « Je suis content ». Moi, j’ai écarquillé les yeux, j’ai rajeuni soudain.
Je me souviens des histoires de mon grand-père, les horreurs de la guerre telles qu’il nous les racontait. Il a perdu non seulement une jambe dans la bataille, mais la confiance, la joie. Lui aussi il pleurait je crois, des larmes si petites qu’elles séchaient aussitôt, des pépites cependant, comme l’or dans les yeux de Tesfaye.
Je ne veux pas que çà recommence ! Ni le bruit des bottes, ni la fureur ni le sang ! Et si l’on ouvrait plus souvent nos portes aux étrangers que l’on croise ? je l’ai fait pour Tesfaye, pour Assawka, Fatou, Hasna, Koyna et la petite Amandine.
Finalement, vu de près, de très près, on se ressemble et on se sent plus grand, plus fort, quand on est plusieurs, pas forcément de la même couleur, ni du même pays.
L’une de mes filles vit depuis peu avec un garçon charmant. Mais c’est un arabe lui dit-on, d’où vient-il ? Ben…de France quoi, il est né ici…Mais ses parents ? de quel pays ?
Bol d’écriture du 05/07/2024 – Douce France
Voilà que ça recommence, toute cette pénible agitation de l’atmosphère, on se croirait soudain à l’échelle d’une fourmilière. Douce France, tes enfants les plus chahuteurs volent toujours la vedette aux bons élèves de la classe. C’est à qui se mettra le mieux en avant, quitte à cracher dans la soupe !
Hélas c’est ainsi ! On s’intéresse moins aux bafouillements des tristes culs qu’aux braillements des forts en gueule. Que vaut un bruit de grelot face aux bruyants oriflammes des égos débridés ?
Alors ça crie, ça se montre, ça s’exprime, ça joute en public et ça ment tout le temps ! A qui la faute finalement ? Le système ? sans doute, modelé depuis longtemps par ces mêmes grosses bedaines qui tremblent pour leur siège. Les circonstances ? Réseaux sociaux, médias à tout va, hackers russes et météo canaque… Les lois ? Mal votées, mal aimées, « tout se casse la figure ma pauvre Lucette ». La population ? une éternelle victime des brailleurs précités, laborieuse populace, elle encaisse, elle n’écoute même plus les bonimenteurs et ne croit personne que ses propres peurs.
Plus à manger, peur !
Plus de télé, très peur !
Des étrangers ! très très peur !
Le climat ? Bof, ça se passe ailleurs.
Plus de grosses voitures, de beaux voyages, de médecins, ni d’Hospital, de facteur à vélo, de papillons, mais zéro regret pour les guêpes. Peur, peur, peur ! Trop peur pour aller voter, à quoi bon Charles ?
Nigauds un jour, nigauds toujours, les autres écouteront soit leur cœur, soit leur raison et ce ne sera pas celle du plus fort. Ils enfileront leurs godasses, enfourcheront leurs vélos, ils iront remplir le devoir électoral comme on va en pèlerinage. Et leurs yeux seront comme les yeux des enfants, impatients d’accueillir le changement, de vivre sereinement dans leur fourmilière bien organisée, en grignotant un morceau de pain d’épices bien mérité. Alors, à quand l’espoir ?
Je n’aime pas les gens, qui manquent d’empathie.
Je n’aime pas les gens, que la lecture emmerde.
J’aime bien les gens, qui ont de la suite dans les idées et le cœur sur la main.
Je n’aime pas les gens, qui affirment sans savoir.
Je n’aime pas les gens, que je ne comprends pas.
J’aime les gens, qui prennent la vie comme elle vient.
J’aime les gens, que l’amour fait vibrer.
J’aime les gens.
L’étranger c’est l’autre aurait dit Camus, ou bien Freud ou encore Sartre…
Comment pouvons-nous passer nos vies à détester nos appartenances, les nôtres et celles d’autrui ? tuer nos différences ?
Ça n’existe pas l’intelligence, ou la beauté, ou l’amour, ou la liberté, ou la générosité ?
J’aime les gens qui la ramène un peu, ou qui ne hurlent pas avec les loups, mais qui disent des choses que l’on voudrait tellement entendre tout haut :
Allez ! qu’est-ce qu’on est bien chez nous, venez les copains ! Arrêtez de faire la gueule ou vous resterez tout seuls !
Chantal Nauleau Gantier
Bol d’écriture du 21/06/2024 – ESPACES
Le fond de l’air était parfait, une brise légère me caressait aimablement le cou, le soleil, printanier à tendance chaleureuse, partageur, rayonnait. La brise et lui flirtaient pour mon plus grand plaisir. Assise sur une vieille pierre moussue, dans une clairière perdue au fond de la forêt, je m’appropriais cet espace naturel, la mousse douce et verte attirait nombre d’insectes vrombissants et je partageais volontiers mon confortable coussin.
Pensive, mon regard suit le jeu du soleil et de la brise dans les feuilles, emportant mon imagination. Espace clos par quelques arbres, assez hors du temps pour donner sens à un furtif moment d’éternité. Cet espace fond, comme le sable coule entre les doigts et l’espace s’efface, comme gommé par l’artiste impatient de magnifier sa toile.
Un bruit ténu me ramène à la clairière, petit gargouillis, fraîcheur inattendue, un coassement… tout m’interpelle. Le coassement se répète, insiste ; Un vague souvenir de princesse, de crapaud et de baiser effleure mon esprit, tout parait logique, la clairière, la brise et le soleil, la vieille pierre moussue au cœur de la forêt… un crapaud… un prince peut-être ? Déjà un cheval blanc traverse l’espace au petit trot, crinière ondulante et fière encolure. Je le suis, heureuse. Il disparaît. Mes pas me mènent vers un ruisseau discret. Il chemine et dévale gentiment sur les cailloux luisants. Le prince, ah pardon, le crapaud lui ne se montre pas. J’inspire fort l’espace de la forêt, son odeur, celle de l’eau claire, des luxuriantes fleurs. Sur ses rives, les tiges de prêles géantes, sont groupées dans quelque silencieux conciliabule. Les libellules volètent et ne s’en soucient guère.
Je tends ma main vers l’eau, je la sens fraîche et pure, un petit frisson me parcoure et hop, volent mes chaussettes ! L’eau a vite fait d’accueillir mes pieds, ils rougissent et glissent sur les cailloux. Si crapaud il y a, il ira se cacher à la vue de ce drôle de spectacle. Le ruisseau est une découverte, son espace bruissant m’emporte telle une petite feuille brune au fil de l’eau en automne.
Je quitte la clairière, je franchis le bouquet de saules, leurs troncs imposants et leurs branches lianes, petit espace, et me retrouve alors auprès d’un lac. Si l’espace doit être un doute, alors ce sera ce lac. Noir, sans reflet, il est paisible, même immobile. La brise et le soleil s’y rejoignent, la surface de l’eau brille comme une sombre couche de glace refletterait l’hiver ! J’avance, prudemment, l’eau noire sur mes pieds, mes jambes, mes cuisses. Je plonge tout entière. Un espace rempli d’algues, insoupçonné, m’accueille, doux balancement végétal. Je nage mais l’eau ondoie à peine, longues brasses silencieuses, l’eau m’enrobe, espace cocon. Alors je ne sais plus si le monde m’appartient ou si moi je suis au monde. Qui sait ?
A nouveau l’espace fond comme le sable coule entre les doigts.
Je nage toujours cependant, je rejoins avec un sentiment de bonheur, la lumière du jour qui filtre à travers les rideaux de ma chambre, la chaleur de ma jolie couette verte, ma chambre enfin, mon refuge, mon espace.
FIN
Catherine K.
Bol d’écriture du 24/05/2024 – SI JE SAUVE…
La sœur, c’est quelque chose de très simple, un verre renversé tombé de la table de la salle à manger et nos yeux s’écarquillent tels des béances entre les nuages après l’orage ! Le verre rebondit sur le moelleux tapis de mousse, choc amorti en silence sur la verte sauveuse. La sœur, c’est quelque chose de très simple. Un sourire fleuri, avec les yeux plissés de gaieté tout à la joie d’être sœurs, un amour aussi irrémédiable que le soleil d’un bel été, une amitié liée d’une herbe liane, qui jamais ne lâche, ni ne dit son nom. Vraiment une sœur, c’est quelque chose de très simple, on se quitte une éternité, on se retrouve comme si c’était hier. On se connaît sans explication, on s’accepte sans compromission ; Les doigts de la main, ni le fleuve et la mer, ne sont plus liés que ces sœurs-là. Eternelles minérales, face aux intempéries, mutiques ensemble dans l’adversité, l’on ne sait laquelle épaule l’autre ! Aucune d’elle d’ailleurs ne saurait y penser. Pas plus que le roseau ne s’explique face au ciel. Complices silencieuses dans la vie, elles enroulent leurs secrets autour de leurs épaules serrées et tiennent conseil au creux d’un vieil arbre, nourries de sa sagesse et du fil des ans qui passent, puis elles décident comme une vieille éléphante le ferait, de la route à suivre, de la couleur de l’ouvrage sur le métier à tisser et elles ordonnent leur petit monde à l’échelle de leur jardin pimpant où butinent tous les insectes, où dansent leurs enfants. Herbes folles, courtes racines, les sœurs en devenir, le silence hardi de leurs frères arbres, jeune saule bondissant, petit chêne à trois feuilles, vive jeunesse, le silence de leur fratrie est encore bien loin, qui les attend.
Si je sauve ce rouge-gorge, le monde sera sauvé, le soleil me sourira, l’espoir s’approchera à nouveau et nous serons bien et nous serons et nous pourrons.
Si je sauve mon âme, le paradis existera-t-il ?
Si je sauve, si je me sauve, loin, loin, loin, si loin que je ne retrouve pas mon chemin, seras-tu très très très fâché(e) ?
Si je sauve les apparences, qui saura ce qui se cache derrière ?
Si je sauve New York, habillé d’un maillot moulant bleu, jaune et rouge, devinerez-vous mon nom ?
Si je sauve, si je me sauve, loin, loin, loin, si loin que je ne retrouve pas mon chemin, seras-tu très fâché petit rouge-gorge ? J’irais par monts et par vaux à la rencontre de ton royaume sauvage et l’embrasserais moi aussi ! Les arbres me chanteront ta chanson éclatante, le sentier d’humus et d’odeurs entraînera mes pas, je vaquerais au hasard, la nature m’absorbera. Mes yeux seront l’eau de la source, ma chevelure de gaillet-gratteron deviendra piège et abri, ruche odorante et fleurie, mes mains écouleront du sable, mes jambes auront l’âme sautillante, fine, agile à passer la rivière ; Le flot de la cascade, le ffrrrt discret de ton vol, petit rouge-gorge ! Le léger plop d’une graine émancipée ; musique éternelle, je serais tout oreille. Ainsi transformée et accomplie, je reviendrais vite te sauver, ensuite tu pourras m’apprendre à voleter, nous partagerons tout ! Au cœur de ton généreux royaume, si je sauve mon âme, le paradis existera-t-il ?
P.S. sauve sauve qui peut, sauve qui veut, saule pleureur, plot sauveur, des pleurs sur mon cœur, mon cœur se sauve, sauf, si je me sauve.
Catherine K.
Bol d’écriture du 16/02/2024 – Thème : métamorphose ; nature – après lecture d’extraits d’un livre de Virginia Woolf, où une métamorphose est évoquée.
« J’ai pris racine au milieu de la terre. Mon corps est une tige » et aujourd’hui je vais vous expliquer comment j’en suis arrivée là et puis peut-être, si vous êtes attentifs, vous dirais-je aussi ce qu’il en advint.
Tout a commencé insidieusement, voici longtemps. Discrètement, subrepticement mes balades en forêt se sont éternisées, mes activités au jardin se sont intensifiées. L’air semblait de plus en plus pur, les couleurs brûlantes : Le vert plongeant de l’herbe, le bleu si bleu du ciel, la terre brune, lourde et odorante, profonde, si profonde ! Soudain les plantes vertes, aromatiques et autres géraniums m’insupportaient ! Leur terre misérable, leurs pots étriqués, leur air artificiel, tout en elles me révulsait. Retour urgent en forêt, en terre, en eau, en sauvagerie, libératoire ! En liberté !
Le temps passait, je ne parlais plus, je n’écoutais plus que le vent, les signes des étoiles et le chant des oiseaux, le murmure des insectes. Et l’eau ! Ah l’eau !
Les animaux semblaient comprendre et suivaient ma métamorphose avec un intérêt somme toute très étonnant.
Mais plus rien ne m’étonnait, le monde se réduisait à un coin de jardin, il contient l’immensité ! Je demeurais immobile là, plantée. Un jour je pris racine et la terre m’accueillit. Sa force immuable montait en moi, ma peau ne fut plus que sensations, je grandis et gagnais en force, toute en immobilité, mais intérieurement littéralement, tout se déchaînait !
Ne me demandez pas à quoi je ressemble, ne me demandez pas ce que je regrette. Je ne sais rien, je ne regrette rien. Désormais je suis géante parmi les arbres, sage au sein de l’univers, je suis garante de la vie et aussi de l’air et de l’eau, mes racines retiennent la terre et mes branches supportent le ciel, ombrageant le feu du soleil, mémoire de vos ADN. Vous n’avez qu’à tout détruire, ce n’est pas grave. Je suis là.
« Et le temps s’égoutte, la goutte se forme sur le rebord du toit de l’âme et tombe. Le temps la fait tomber ».
Oui le temps s’égoutte, il dégouline, il dégueule, il nous noie, il se noie lui-même, il s’oublie dans tous les sens du terme ! Einstein l’a prouvé : Partir à 300 millions d’années-lumière, nous ramènerait sur terre trente ans avant notre départ. L’eau n’aurait pas encore dégouliné, la fusée n’aurait pas encore décollé, la goutte ne goutterait pas du tout et qui peut me dire où j’en suis ? Sur le bord du toit ? et mon âme ? Elle fait le tour du soleil, elle fait la danse du ventre, elle cherche sa goutte perdue, la lumière, la relative lumière ! Mais voilà, les gouttes gouttent tout le temps et le temps cruel temps, s’égoutte ! Dans les grottes stalactites, sous l’averse -plic, ploc, plouf- sur mon crane (torture chinoise), dans ma tête, mon ventre, mon âme… le bord du toit, l’envie de goutter moi aussi, l’envie de gouter le bord du toit, la chute, la goutte qui fait déborder le vase, le temps qui fut et qui sera, le temps qui guérit tout, la goutte dans mon verre elle aussi, celle qui s’égoutte dans mon gosier, chaude et amicale, parce qu’avec toutes ces gouttes et tout ce temps qui passe, finalement chacun a le choix de sa goutte, de son temps, du verre au bord du toit, de la goutte à l’orage. Alors, jouissons du moment présent.
Petit poème en attendant que les écrivaines aient terminé leurs textes :
Je goutte et tu gouttes,
Goutte d’eau
Goutte de toit
Pour toi mon âme
Catherine K.
Consigne : Poursuivez la phrase : « si je sauve un rouge-gorge, un royaume sauvage nous embrassera »
Si je sauve les couleurs de l’arc en ciel, je me ferai reine au bal des éclairs. Un royaume sauvage nous embrassera. Je sauverai la nuit et je danserai le jour dans des habits de lumière.
Je me ferai « bête » à monter dans les arbres, à ronger les écorces, à sucer le miel que les abeilles ont fabriqué, au cœur de la forêt pour sauver l’humanité.
Si je sauve la pluie, je la garderai en sous-sol pour les saisons sèches et j’irai à la pêche, à la pêche des sol, des do, des ré, et des mi aussi, qui feront des claquettes de midi à minuit sur le sol craqué qui sourit au passage de nos pieds, quand on enfouit les graines sauvées des grandes catastrophes.
Il pleure des armes sur certains déserts, qui sauvera les hommes ? Il pleut de des drames quand les enfants s’endorment, qui les réveillera, qui les sauvera ?
La nature est à genoux. Et bientôt ce sera nous, les hommes, qui mourront de tout.
Si je sauve les mots, même ceux qui ne tiennent pas debout, si je sauve un rouge-gorge, est-ce qu’un royaume sauvage m’embrassera ?
Un orage m’entend et il me dit : « n’attendez plus, si je gronde, sauvez-vous ! »
Chantal
– Hé Biloute ! arrête donc de cabanifier en haut de ton arbre-girafe, descends j’ai une invention à te faire découvrir, tu vas en être comme deux ronds de flanc !
– OK j’arrive Dagobert, j’attrape mes gougounes et je dégringole jusqu’à toi. Au fait, t’as encore mis ta culotte à l’envers ah ah ah !
Les deux compères se dirigèrent vers la cahute de Dagobert, cavalcadant gaiement comme deux adulescents.
– Regarde donc ! s’écria Dagobert. Il s’assit devant son piano, joua une sonate de Schumann, et un liquide passa dans différents tuyaux, changea plusieurs fois de couleur pendant son voyage pour atterrir dans deux verres à la queue du piano.
– Mais c’est magique ! s’esclagoutta Biloute
– Oui c’est mon pianocktail. Selon le morceau que tu pianotes, tu as un cocktail différent à chaque fois mais je ne divulgâcherai pas la fabrication de cet objet miraculeux, tu n’auras que le loisir de goûter l’élixir.
– Schmutz ! Viens donc que je te poutoune mon ami, quel bricbroqueur de génie !
Biloute prit un verre et gouttina religieusement le breuvage, il merla de bonheur, chatouna du museau vers Dagobert et lui sussurra, les yeux emperlés de ravissement : « ce cocktail est encore mieux qu’un champisnif, me voici parti en pleine nuagisation. Et qu’est-ce qu’on pourrait bien klouker avec ces aphrodisiaques ?
– Je te propose des pets-de-soeur mais attention tu risques de cabinetter rapido car c’est la nonne d’à côté qui les fait et parfois elle se mélange un peu les pinceaux dans les ingrédients, ça peut être implosif !
– Elle est un peu nounoune ta nonne alors, y’a qu’à suivre la recette ce n’est pas sorcier, j’vais aller la douciner moi pour qu’elle ne nous empoisonne pas !
– Fais pas ton frotteur va, elle pourrait devenir rageuse alors que j’adore ses pets !
– OK joue-moi donc un adagio allegro troppo troppo pour qu’on glougloutonne un second élixir de choc !
Dagobert se remit au piano, divers liquides glougloutèrent dans les tuyauteries et ils passèrent toute la nuit à vaguer à l’âme, à pleurire et à s’emperler jusqu’à l’implovisation finale.
Anne-Laure
La course au ralentissement
Nous sommes toutes au début un tas d’os, un squelette démantelé gisant quelque part dans le désert sous le sable. A nous de recoller les morceaux.
Avec lenteur Archibalde écarte les grains de sable qui obscurcissent ses yeux. Elle a été jetée là en plein soleil, et recouverte de sable car elle avait osé s’opposer à la communauté dans laquelle elle vit, les « Tout tout de suite », en prônant les valeurs qui gouvernent sa vie depuis toujours, le plaisir, la lenteur, la montre molle, et en clamant « le temps m’appartient ».
Elle secoue sa carcasse, ré-emboîte ses os, prend tout son temps pour se mettre debout, elle n’a rendez-vous qu’avec elle-même, pourquoi se presser ? Debout elle réfléchit : suis-je capable de mettre trois heures pour franchir les 100 mètres qui me séparent du village ? Assurément. Même quatre heures, même beaucoup plus. Je peux même décider de rester sur place et ne jamais arriver jusqu’au village. L’ultime ralentissement, l’arrêt tout simplement. Ne plus jamais revoir les « Tout tout de suite », ces voleurs de temps. Echapper à l’immédiateté, à la vitesse, baigner dans le présent perpétuel, tel un printemps éternel.
Fuir ! oui fuir les « Tout tout de suite ». Comment ? par quel moyen de transport ? ses pieds ? le vélo d’Arnold ? la mobylette de Max ? le cheval d’Oanie ? le cheval oui ! Voici un transport qui correspond idéalement à la philosophie d’Archibalde, le pas nonchalant du cheval jusqu’à Tombouctou ou plus loin encore, lui sied à merveille. Son squelette cliquète de plaisir, le temps de la respiration est venu. Elle siffle Jolly Jumper qui, crinière au vent, la rejoint aussitôt. « Aussitôt », que c’est rapide ! pense Archibalde, mais n’est-il pas devenu urgent que je me trisse loin des « Tout tout de suite » ? « Tout de suite ! » pense Archibalde, mais en prenant mon temps, car j’ai tout mon temps et celui-ci s’accordera au pas lent de Jolly Jumper. Elle rassemble tous ses os et son peu de muscles et se hisse sur le dos de sa monture. Les voilà partis tous deux vers le Grand Néant, le pays des petits et grands riens où le temps est suspendu et où habitent les « Riens éternels ». Il est fort possible qu’Archibalde n’atteigne jamais le Grand Néant sauf si Jolly Jumper s’affole un peu et démarre un petit trot enlevé, mais il n’y a pas trop de risque, car chacun sait qu’un fluide très particulier, unique en son genre, unit un cheval à sa cavalière, donc Jolly Jumper ne pourra que suivre la course au ralentissement qu’a entamé Archibalde depuis sa naissance, et même dans le ventre de sa mère puisqu’elle n’en est sortie qu’à 10 mois et demi.
Ne jamais estimer que le chemin à parcourir n’est qu’une parenthèse de vie, c’est la vie elle-même pense Archibalde, et plus le chemin est long et plus je me délecte du temps infini que je passerai à le parcourir.
L’élasticité des secondes, des minutes, des heures, des jours, au point qu’Archibalde et Jolly Jumper perdent toute notion du temps.
Et là s’arrête l’histoire ou plutôt elle continue indéfiniment car Archibalde et Jolly Jumper sont toujours sur la route vers le Grand Néant, à petits pas lents, ou peut-être se sont-ils arrêtés dans une oasis à goûter au temps qui ne passe plus.
Anne-Laure, le 20 août 2021
REPETITIONS
C’est à la tombée du jour, que se produisent les choses les plus intéressantes et déjà les lueurs rosées du soleil couchant, et quelles lueurs ! résonnent sur la ville, captent le regard ébloui des passants pressés, rebondissent sur les parois de verre de buildings futuristes et donnent le signal aux populations exotiques et impatientes (humains anonymes encagoulés et autres animaux furtifs), le signal tant attendu de la liberté ! Et quelle liberté ! Comme furtivement le chat longe les murs, tout aussi furtivement l’humanité, et quelle humanité ! se glisse de par les rues, fait mine de ne pas se voir, ombres parmi les ombres, rebelles, paumés, les largués du monde du jour… et quel monde !
Monde cruel, monde froid, monde gris, monde sans coeur et sans esprit, dont la richesse est la ruine… et quelle ruine ! Mais, le soleil déjà est couché.
Les braseros prennent le relais, les flammes lèchent le bord des bidons rouillés ; On se regarde, on s’observe. Un violoneux lance un air, on se jauge ; Une voix profonde entonne un chant, on se pâme et l’on oublie le jour, et l’on oublie sa vie, ce que l’on est, ce que l’on n’est pas et l’on oublie les règles même celles jamais apprises. On digresse, on s’enlace, on se vide, on se remplit, on vit, on revit, on y revient et que la nuit est folle !
Tant pis si ce paradis nocturne est tout aussi encadré que l’enfer de la journée, tant pis si j’y perds mon âme et tout le reste, tant pis si les chants sont vulgaires, les marrons tout brûlés, tant pis si les copains sont bêtes, de leur abêtissement, tant pis si les copines sont laides de leurs avachissements, car la nuit, tous les chats sont gris et ont faim, car la nuit nous ramène l’égalité et la dignité, car la nuit.. quelles nuits ! Je pourrais très bien vivre ce crépuscule sans fin.
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Ecriture automatique, 5mn sans préparation, sans lever le stylo, le stylo est levé au top de fin, même si la phrase n’est pas terminée.
« Je dois écrire sans réfléchir, sans réfléchir, sans quoi, ça va mal finir et déjà le bras m’en tombe, le stylo me fuit, pour une fois que ce n’est pas l’encre, tout lâcher, tout donner mais pas l’encre, mais Anne-Laure, qu’elle idée t’est passée par la tête, surprise, limite traitrise, j’écris, écrire, je ne lève ni le doigt, ni la tête, comme la machine, sans fin, il faut écrire, sans fin, il faut tenir, ne pas fuir, ne pas rire, mais comme ces minutes sont des heures ! je ne l’aurais pas cru possible, ai-je le droit de poser LA question C’EST QUAND QUE CA S’ARRÊTE ? et le repos de la guerrière dans tout ça ? et mes pauvres doigts qui eux s’en tapent du repos de la guerrière. Et puis quoi encore ? pourquoi pas une bière et des noix de cajou* ? c’est bien ça ! ça récompense après tout ce travail de forçat, il faut avancer cependant, le temps si court semble si long, à peine commencé, le.
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* le sachet de noix de cajou trônait sur la table n’attendant que le petit verre de vin blanc frais habituel qui allait suivre l’exercice d’écriture du jour
Catherine K. 18/06/2021
Inspiré de « La Géante »
1/ La pierre debout
Immobile au centre du cercle formé par ses futures consoeurs, Iwen se tient fière et concentrée. Le chant l’enveloppe, comme un doux manteau, submerge sa conscience et l’éveille à la quête.
Soudain, ce fut le silence ! Iwen sait. Elle connaît enfin son épreuve ! le rite était accompli et sa quête commençait, la voie était tracée et ne pourrait être close, tant que la quête ne serait pas achevée.
Sans un mot, ses consoeurs quittèrent le cercle et une pierre dressée apparut, une pierre qui donne la direction.
2/ Le vestibule du diable
Iwen prit une grande inspiration, salua l’assemblée d’un bref mouvement de tête puis se dirigea vers la pierre. Derrière s’y trouvait manteau et sac de voyage… le début du chemin.
Devant elle, l’inconnu. Ses pieds foulaient l’herbe verte et tendre lentement, sans se retourner, elle s’en fut.
Rejoindre la civilisation humaine, n’est pas une mince affaire ! rien n’était simple dans ce voyage.
Iwen se sentait sûre d’elle mais si jeune, que va-t-il lui arriver dans le vestibule du diable ? à quoi ressemble cette arche de passage, dont elle entend parler depuis si longtemps, sans rien en savoir.
Iwen marche, elle écoute le pépiement des oiseaux, si peu solennel, elle observe le ciel bleu.. comme dans un grand bol d’air ! Elle avance à grands pas maintenant jusqu’à atteindre enfin un épais bosquet qui marque la fin du chemin. L’entrée du vestibule du diable…
3/ Le bois noir
Toute sa concentration lui est nécessaire pour franchir la porte, banale… l’arche de passage pourtant.
Le temps passe, c’est sans importance. Assise, le regard fixe, elle invoque le chant, la puissance du chant, le temps passe encore, le chant devient le chant des ruisseaux, celui qui sert de boussole à qui n’en a pas, celui qui sanctionne le changement d’univers. Ainsi l’arche est franchie.
4/ Le val sans nom
Le val sans nom, le nom vient à l’esprit d’Iwen, après avoir franchi le bosquet-porte. Ce nouveau monde lui est inconnu, les lieux ne sont pas nommés, ni le val, ni la prairie qui s’épanouit sur ses pentes. Un troupeau de biches passe le chemin, un grand saule tend ses bras et le creux à son pied sera idéal pour se reposer avant d’affronter demain l’aventure, tous ces questionnements comme des morceaux de la montagne qui s’agacent, sans trouver réponses. Le val l’y mènera bien assez vite.
5/ Le sorbier des oiseaux
Le frôlement d’une aile sur la joue d’Iwen, le pelage roux de l’écureuil qui l’observe en grignotant, il est grand temps de repartir. Iwen ne touche pas aux fruits du sorbier, mais se régale d’eau fraîche et des quelques noisettes, don de son petit compagnon improvisé. Il est grand temps de repartir, d’arriver, de réussir, de revenir enfin.
Elle fait confiance à ses pieds qui savent quand changer de cap. De l’arbre, l’écureuil lui apporte une clochette qu’un poète aux pieds nus aura accrochée. Et quelques cheminements plus loin, le voilà, le poète ! Iwen s’interroge… si c’était lui son épreuve ? L’initiée majeure, lui a promis qu’elle le saurait de suite, qu’elle saurait quoi faire, que ce serait facile. Et là, voilà, un poète accrocheur de clochette.. comment faire ? que lui dire ? le poète l’observait justement, un air surpris avait saisi son regard. Comment ?! il se trouvait sans crier gare, face à plus poète que lui, une apparition ! Comme hors du temps.
6/ L’échelle des sept
« Bonjour » dit Iwen
« Bonjour » répondit le poète
« Mon écureuil a trouvé une clochette, si vous permettez, j’aimerais beaucoup la conserver »
Le poète sentit sa tête tourner : Au fin fond du bois noir, où personne jamais n’errait, si loin de toute l’humanité, une apparition lui parle d’une clochette comme on parlerait météo avec son voisin. Iwen le fixait, semblant attendre une réponse, son regard devint de plus en plus profond et doux, les bruits autour, semblaient dans du coton, la lumière n’était plus que celle des yeux d’Iwen, son esprit de poète, laissait soudain remonter tous les soucis, toutes les solitudes et les tristesses, tout son jeune passé d’errance bravache, cette soif de joie jamais étanchée… après tout, on n’est pas poète sans y laisser des plumes. Iwen ne lâchait rien ! Elle était là face à sa première bataille, elle allait purger son poète de son mal-être, lui souffler le sens du bonheur, même lui apprendre la direction de la joie de vivre et peut-être deviendra-t-il un grand poète.. ou pas, mais heureux parce que le chanceux, vient de rencontrer sa bonne fée ! « Tu peux conserver la clochette » murmure le poète.. Iwen la bonne fée est partie.
7/ Le lac vert
Elle a rejoint la berge du lac vert, sa première mission, initiatique, est achevée. Déjà une odeur
d’épicéa annonce la ligne d’arrivée après l’effort. Le village des fées s’exprime près de la prochaine colline, visible d’elle seule, un filet de fumée prend l’odeur du réconfort et du repos. Reste à traverser la nuit qui parfois force les mots, pour retrouver ses soeurs, puis bientôt envelopper d’autres poètes.
Catherine K.
A vélo
C’est l’heure, ça y est ! je sors mon beau vélo rouge, je fixe ma pince à vélo (sinon la chaîne va piéger la jambe de mon pantalon de sa vilaine tache noire) et hop, je pars, je roule, je vogue presque, le nez au vent, l’esprit fixé sur le but à atteindre !
30mn de trajet dans la ville trépidante. D’abord j’emprunte la rue d’Ali, l’épicier qui connaît bien mon vélo rouge, rapidement jeté sur le muret de l’épicerie… à moi les bonbons, carambars et autres boules coco. Vite, il faut repartir, on m’attend.
Je file, fais le tour du square pour atteindre la grande avenue et longer les rangées d’arbres immenses, presque incongrus dans la grande ville. Tiens je la nomme « allée des grands arbres », celle qui mène à la passerelle au-dessus du chemin de fer (il n’a de chemin que le nom, pas question d’y cheminer sur celui-là). La passerelle, elle, elle passe, elle enjambe, elle surplombe la ville et son agitation, parfaite image de la ligne tracée pour aller du point A au point B. Tiens, c’est bien comme nom ça « la passerelle du point A au point B ». Surtout la descente, rapide voire grisante de vitesse et de joie d’avoir franchi l’obstacle (NDLA : la voie ferrée). Le vélo rouge y prend grand plaisir, il aime la vitesse… pas sage le vélo lorsqu’il passe la passerelle ! Mais voila la rue du marché, le vélo s’y connaît, il ralentit, répond à la fromagère et au boucher, salue une grand-mère, évite un grand dadais et un chien dissipé. Pas question de s’arrêter ! le but est proche, tout proche et la rue du stade est la dernière ligne droite avant d’arriver à destination.
Comme tous les jeudis le petit vélo rouge vaillamment traverse la grande ville. Attention m’a dit maman ! Mais attention à quoi ? où est le danger ? il n’est pas là, mais cet « attention » formulé d’une voix impérieuse donne toute sa dimension à mon périple et me voila libre, libre de digresser, de ne pas faire attention… D’ailleurs il n’y a aucune rue de l’attention, juste des routes de la liberté, une passerelle du point A au point B, un chemin de fer qui n’a de chemin que le nom. Bientôt c’est sans vélo que je monterai dans le train, pour d’autres passages, d’autres noms…. FIN.
Catherine K. 07/02/2020
Chacun ses fantômes, toute tête a sa maison haute…
Dans la maison tous assis autour d’une table, quatre hommes et quatre femmes, dont je suis, écoutent le maître de cérémonie. Maître Yang, doté de pouvoirs surnaturels pour convoquer les souvenirs, sert à chaque invité une tasse de thé. Il explique que nous disposons du temps très court pendant lequel le breuvage refroidira pour nous souvenir d’un évènement. Il ajoute que cet évènement a vraiment existé mais que nous l’avons peut-être oublié et qu’il aura changé notre vie. Nous sommes soumis au silence, aucune question n’est permise. Le parfum du jasmin exhale déjà sa douce chaleur, il faut faire vite sinon le souvenir disparaîtra. Je reste interdite. Je regarde autour de moi, les autres semblent déjà concentrés. Rien ne me vient. Le précipité du temps m’angoisse, je n’avais pas imaginé qu’il faille extraire du thé son or et sa pressure pour entrevoir ce qui jusque là me fut probablement interdit : le souvenir de mon premier mot.
Quel est celui que j’aurais pu prononcer, hormis les quelques babillements de la toute petite enfance ? Ai-je dit « maman », « papa », quoi d’autre ? Le thé refroidit déjà. Combien de temps la chaleur du liquide mettra t’elle pour s’affadir ? Le maître nous toise. Il représente à lui seul la barrière du temps, nous devons la franchir. Il nous a promis l’empire d’un souvenir, d’une image, d’un mot qui peut-être transformerait, ou mieux, sauverait nos vies.
« Papa » ou « maman », non, çà ne me dit rien, ce ne sont pas ces mots là que j’ai prononcés d’abord. Ma mémoire frémit. Le thé est encore tiède, je bous à l’intérieur. Je n’avais pas remarqué que les fenêtres étaient closes, que les rideaux sombres nous coupaient de la lumière. Ainsi, l’atmosphère restait-elle feutrée, un cocon en somme, un ventre peut-être, une chaleur, un bunker.
J’écris quelques mots sur ma feuille restée blanche : aurais-je dit « bobo », « pipi », « doudou », « câlin » ?
Rien ne colle, çà ne fait pas écho. Je crains que le thé ne devienne désespérément froid et que je ne me souvienne plus de rien. Les autres semblent absents à eux-mêmes, ils crapahutent sur le temps comme des fantassins, ils conquièrent des espaces, brûlent les obstacles. Est-cela le secret ? Savoir garder en soi la chaleur du thé, ne pas se laisser envahir par la froideur. Je pose les mains autour de la porcelaine encore chaleureuse. Le temps s’efface. Je n’appartiens plus qu’au maître et au mot, celui que je cherche et dont je ne sais même pas s’il n’existât jamais.
Pourquoi aurais-je dit autre chose que « Papa », « Maman », « Pipi », « Bobo », « Caca » peut-être, ou bien « Pot » ?
La ferveur des participants vibre dans les tasses. Aucun d’entre eux ne veut manquer l’occasion unique de capter l’insondable, le souvenir qui nous rendrait au monde oublié de l’enfance. Il doit rester une minute environ, le thé refroidit dangereusement. Le maître lèvera les yeux et ce sera terminé.
Tout mon corps se tend, les os, le dos, les muscles, la peau, le jus de mon cerveau dégouline sur la page. Je pleure. C’est le vide, le sentiment brûlant de l’échec. Les autres semblent contents. C’est toujours comme çà, les autres réussissent sauf moi. Quel mot de l’enfance ai-je bien pu poser sur le manque à exister, si tôt, si douloureusement ?
Il reste trente secondes. Tout le monde a levé la tête. Le maître guette. Le gong de la fin va bientôt retentir, la magie disparaîtra, je reviendrai dans le monde réel sans avoir pu retrouver le mot qui m’a toujours manqué. Je tremble et c’est la peur qui surgit. La peur, aurais-je pu le dire si petite que j’avais peur ? Peur de quoi ? De la nuit, des fantômes, de la douleur, de la solitude ou du froid ?
J’avais peur que le temps ne s’arrête, j’avais qu’elle soit morte, grand-mère. La peur disparaît à l’instant du gong. Le thé a refroidit. Je retrouve la chaleur des bras d’une vieille femme qui jadis m’aima. Avec le temps, je la croyais disparue puisque jamais personne jusqu’ici ne m’avait parlé d’elle.
« Oh ! Mais tu étais trop petite, comment t’en serais-tu souvenue ? » Ces mots me reviennent.
Mais si j’étais bien là, je me souviens de ses bras, de ses baisers, de sa chaleur et de sa bonté. J’avais peur qu’elle me lâche, j’avais peur que la tasse de café qu’elle tenait dans sa main droite ne se brise.
« Peur », c’est bien ce mot là que j’avais dit en premier. J’avais six mois quand grand-mère est morte.
Depuis que le maître nous a libérés, il a emporté dans sa besace les mots des uns et les pleurs des autres. La cérémonie du thé a levé nos résistances et nous a rendu la fragilité de nos enfances que la force du groupe a consolidées.
Chantal
Atelier d’écriture 30 juin 2022
Le papillon
Je suis le papillon qui volette sans cesse dans l’air pur.
Oui, je signifie ou non la qualité de l’air.
J’accuse en effet l’univers entier de cette universelle pollution qui a failli m’exterminer.
Mais je renais ici ou là lorsque le soleil affleure.
Je suis la joie des humains, joie pour plusieurs raisons, joie parce que je les accompagne sur les chemins, papillonnant ici ou là, effleurant les fleurs, joie de l’émerveillement devant mes couleurs diverses, flamboyantes ou nacrées, vives ou pastelles, joie parce que je signifie le côté non seulement éphémère de la vie ce qui serait plutôt triste mais le côté fantaisiste de la vie, peut-être même désinvolte.
Je vis de peu et de rien, je suis juste décoratif, je ne sais que faire plaisir aux yeux, aux enfants, je suis le modèle du touche à tout, je suis le symbole des éternelles vacances où l’on papillonne partout, je suis artiste, sans cesse nouveau, sans cesse reflétant la lumière du soleil.
Le matin, je ne suis pas le premier levé, j’attends une certaine chaleur, j’attends que les rayons du soleil chauffent. Je sais vivre, moi, au contraire de ces hommes qui travaillent comme des fourmis jour et nuit. Non, j’ai mes heures, j’ai mes lieux.
Les hommes se trompent quand ils me déconsidèrent.
Il n’y a rien de futile dans la vie.
La gratuité de la vie et de la nature est par contre une nécessité vitale. Si les échanges entre les humains en prenaient de la graine au lieu d’évaluer et de chiffrer sans cesse toute chose, tout évènement, cela changerait la face du monde!
Voilà à quoi je sers. À réjouir, à émerveiller, à accueillir ce qui est donné, à être simplement
heureux de vivre, à être heureux d’être libre quand on a la chance de l’être ce qui, il faut bien le dire, est loin d’être le cas de beaucoup dans le monde.
J’appartiens à la nature-mère, à la Terre-mère et je rappelle sans cesse ce don, cette vie, cette lumière, ce repos que les hommes méritent et dont ils ne profitent pas toujours assez dans leur course au profit et à l’efficacité.
Léger comme un papillon.
Oui, je signe ou non les progrès écologiques, je signe ou non, comme les hirondelles aussi d’ailleurs, l’urgence climatique, la qualité de l’air, où en est le réchauffement de la planète.
Ma vie se passe à faire plaisir gratuitement et j’en profite moi-même. C’est ça qui est merveilleux.
Je suis recherché pour mes espèces rares, certains essayent de m’attraper pour en faire des collections. Mais ce n’est pas une bonne idée.
Il faut me laisser vivre pour illuminer la terre, pour voir s’épanouir le sourire de l’enfant à mon passage. J’échappe à son filet mais s’il m’attrape, il faut qu’il me relâche, que j’émerveille encore l’univers sous le soleil.
Oui, hommes, cessez de vous plaindre, cessez de revendiquer, contentez-vous de ce que la nature donne, regardez-vous un instant les uns les autres, non comme chiens et chats, mais au contraire pour retourner vos coeurs et faire attention les uns aux autres avant tout.
La vie peut être si simple, si belle, si lumineuse.
C’est ça que je défends, j’illumine le moindre lieu de tristesse, je le change en émerveillement et chacun sait que l’émerveillement est le principe de la philosophie.
Voilà je l’ai dit, être un papillon, contrairement à ce qu’on croit, c’est une question de
philosophie!
De philosophie de la vie!
…D’amour et d’eau fraîche!
…Là, voilà!
…Tout est dit!
Hélène Y.M.P. B
Atelier d’écriture – 25 février 2022
sujet:la légende
Les hérauts inter-galactiques
Un peuple légendaire s’avance du fond des âges, du plus profond de la nuit des âges, longue cohorte chevelue et poilue enchaînés les uns aux autres. Long peuple qui s’étire tel les chenilles processionnaires en longue file mortifère. Ce peuple est long, démesuré, ni homme ni femme, très hauts et très grands, ni humain ni divin à la limite des deux. Ces êtres invisibles au monde, dégagent des ondes verticales et horizontales, en tous sens pour se diriger à travers l’opacité des airs qu’ils traversent et qu’ils créent en même temps autour d’eux. Ils sont à la recherche, pourrait-on dire, d’une sorte de graal qui les délivreraient de leurs chaînes et leur permettrait de vivre et s’épanouir. Ce graal aurait l’aspect d’un diamant unique au monde, noir bien sûr et totalement transparent.
Ces êtres contre nature ne savent absolument pas où le trouver. Ils sont en errance continuelle dans l’atmosphère mortifère qu’ils créent au fur et à mesure qu’ils avancent dans l’espace interstellaire, effleurant bien souvent la planète bleue sans pouvoir sans pouvoir pénétrer dans son atmosphère car là, un être plus étrange encore, sorte de demi-dieu, ayant forme d’une colonne d’énergie lumineuse et transparente, leur barre l’accès au monde terrestre et donc à la possibilité de trouver la pierre qu’il détient cachée dans une caverne connue de lui seul. Avec ses pouvoirs énergétiques, il a en effet obstrué la caverne avec toutes sortes d’herbes essentielles ayant pouvoir de repousser toute tentative d’approcher sauf à celui qui connaîtrait la formule magique qui les ferait s’écarter. Cette formule, elle, est détenue par un autre être monstrueux, celui-ci vivant à des années lumière au fond d’un trou noir aspirant et producteur d’une énergie concentrique extrêmement rapide, très difficile à attraper. Ce peuple légendaire, appelons-le les hérauts de la galaxie XB1, car ils l’ont traversé avec beaucoup de courage et d’acharnement, se voit repousser par le demi-dieu
Archibald4. Ainsi il est condamné à l’errance glaciale inter-galactique.
Or, au sein d’un centre de recherche international dans un désert montagneux de la terre, un désert que nul ne connaît sauf ceux qui y travaillent en autarcie complète, vivant la nuit pour observer les étoiles et les galaxies dans la large coupole de leur observatoire tout en haut de la montagne dans l’air le plus pur de la terre avec un télescope géant de plus de trente mètres de diamètre, se trouve une équipe de chercheurs avec, entre autres deux jumeaux, un homme et une femme, les plus jeunes de l’équipe, les plus doués aussi, fonctionnant en intelligence double gémellaire par rapport aux autres individus, d’où leur capacité à saisir des choses inédites. Maha et Muho étaient justement en train de s’interroger sur ces traces d’atmosphères créées par les hérauts de la galaxie XB1 sur leur passage. Maha et Mohu ne pouvaient voir les hérauts invisibles mais ils avaient réussi à saisir les traces d’atmosphère. Ils pouvaient ainsi suivre à la trace le peuple légendaire venu du fond des âges et voyaient que ces traces se heurtaient à un obstacle à la limite extérieure de l’atmosphère terrestre. Ils percevaient là une énergie repoussante sans déterminer son origine.
Maha et Mohu entreprirent un projet spatial pour aller examiner cette énergie. Des hommes partirent et revinrent sans succès. Ils avaient été irradiés par l’énergie aveuglante d’Archibald4 sans le voir. Mohu et Maha continuèrent leurs recherches et se demandèrent comment prendre cette énergie de dos ou mieux l’encercler pour la circonscrire à l’intérieur d’un maillage anti-filtrant. Mohu avait une admiration sans borne pour sa soeur Maha. Il savait qu’elle trouverait la solution et était sûr qu’elle seule pouvait la mettre en oeuvre. Seulement il fallait convaincre le directeur de recherche de la laisser partir pendant que Mohu resterait aux arrières de l’observatoire pour lui communiquer par télépathie les données nécessaires.
Maha était une fille extrêmement belle, très intelligente mais aussi très douce. Elle tenait cette douceur de son frère qui l’entourait toujours de mille prévenances. Maha put, après beaucoup de pourparlers, partir avec le dernier Soÿouz et contourner l’énergie Archibald4 pour la maintenir dans ses filets. Archibald toma évidemment sous le charme au fur et à mesure que Maha décryptait la possibilité d’entrer en communication avec lui grâce aux ordinateurs de Muho qui recevait toutes les informations, les transformait et les renvoyait par télépathie. Archibald4 devant la beauté, l’intelligence et la douceur de Maha ne put cacher plus longtemps son secret et le confia à Maha.
Il restait beaucoup à faire, trouver le trou noir du monstre T-7 pour obtenir la formule magique et trouver la caverne du diamant noir. Maha se trouva aspirée par l’énergie d’Archibald4 et s’unit à lui, elle multiplia ainsi son énergie et la communiqua à Muho qui travailla jour et nuit pour trouver le trou noir T-7.
Maha, elle, restait dans l’énergie d’Archibald accumulant les réserves de lumière nécessaires au voyage interstellaire vers le trou noir dès que Muho lui en avait donné les coordonnées. Il fallait faire vite car Muho voyait les traces d’atmosphère des hérauts de la galaxie XB1 se perdre de plus en plus loin. Enfin, Maha pu partir. Elle n’était pas seule, devenue elle-même inséparable d’Archibald4 leurs deux énergies se confondant totalement. Maha compensait l’énergie rayonnante d’Archibald et la neutralisait par son extrême douceur. Ils pénétrèrent dans le trou noir dont l’énergie accueillit la leur. Ils mirent un instant parmi des années lumière à pénétrer le secret de T-7. Les informations arrivèrent via Maha à Muho qui calcula la formule magique à partir des données recueillies auprès du monstre invisible mais curieusement sonore.
A nouveau il fallait faire vite, le monstre essayant s’aspirer Maha dans son tourbillon fantastique, voulant l’arracher à Archibald4. Maha luttait prodigieusement. Muho était sans cesse connecté à elle et l’empêchait de se laisser entraîner. Il eut raison du monstre grâce à la double intelligence de Maha enforcée par l’énergie d’Archibald. Maha et Archibald s’arrachèrent de T-7 et revinrent à la surface de la terre. Sur leurs traces purent se déplacer les hérauts de la galaxie XB1. Maha communiqua la formule magique à Muho qui fila au désert, trouva les plantes, ouvrit le passage et trouva le diamant. A la constellation d’Orion, tous se rejoignirent en haut de l’Himalaya, la montagne la plus haute, pour accueillir les hérauts et les délier grâce au diamant. Un instant ils devinrent visibles, splendides, et repartirent chacun droit devant soi dans le monde interplanétaire.
HYMP
Atelier d’écriture 26 mai 2023
Sujet: l’oubli et le temps
Hommage à mes parents
«Tant qu’il se trouve quelqu’un pour se rappeler les avoir oubliés», il y a de l’espoir. Se rappeler qu’on a oublié, c’est qu’on appartient encore à la vie. C’est l’instant crucial où l’on bascule. Passage de l’âge de la mémoire à celui de l’oubli, immédiat sinon encore lointain. Moment de grande douleur où l’on s’aperçoit que l’on commence à être diminué. Moment de grande souffrance devant l’inéluctable. «Je ne sers plus à rien». L’immobilité s’ensuit et la mémoire des âges disparaît dans l’enfance ressassée. Plus rien n’existe sinon ceux qui sont morts et que l’on croit toujours vivants parce que l’on a basculé dans le temps où l’on n’a plus d’âge. La vie se ferme sur elle-même. La communication disparaît. La reconnaissance de l’autre devient évanescente. Tout d’un coup, on est seul, seul, seul. Plus de vivants sinon ces inconnus. Tous les amis disparaissent eux aussi, tous sont morts. Il n’y a plus de vie sinon celle d’une ombre perdue. Dernière étape de la vie. Dernier combat s’il en fut. La mort est là qui frappe à la porte. Il est si long de se délester avant d’y parvenir. Tout est fuite au-delà du temps ou en-deçà du temps qui sait. Cela dépend peut-être si on croit à l’éternité, si on croit au pardon. Il est si dur de pardonner. Pardonner cette invisible défaite. Pardonner cette décrépitude invasive. Pardonner à ceux que l’on ne reconnaît plus. Et la mort fait son oeuvre lentement, insidieusement. Et le corps, lui, garde la trace des ans, tout fripé et flétri. Où est-elle ma mère? Où est-il mon père? «Chacun a ses fantômes, toute tête est une maison hantée». Maison hantée d’ombres qui se croisent sans même plus pouvoir se regarder. Les êtres hagards et déformés. Déformée en effet leur personnalité. Il ne reste plus rien que ce corps qui garde secrètement la mémoire d’un personne qui fut un héros ou pas dans la société, qui eut une famille. Tout est oublié. Plus de repère. Seule l’enfance, à l’âge où l’on retombe en enfance. La boucle est bouclée. La vie se vide. Le coeur aussi. Chacun dans son errance. Et, enfin, la mort venue, on se rappelle. «On»: les proches, les enfants, les petits enfants, les rares amis qui restent et qui ont encore leur tête. On se rappelle et on oublie, on oublie ces dernières années de l’oubli. Et l’on se remémore soit l’amour, soit la haine, soit la communion, soit les divisions et un chemin nouveau s’ouvre avec ou sans partage. L’étape majeure du dernier parent parti et c’est la nouvelle génération qui se trouve face à cette étape où les mots soudain manquent, où on se dit que «tant qu’on se rappelle qu’on a oublié», c’est qu’on est encore là, qu’on est encore présent. Qu’il n’est pas trop tard et, qui sait, peut-être ne connaîtrai-je pas la déchéance de ma mère ni celle de mon père. Cette dégénérescence qui nous emport si loin. Simplement c’est l’âge, c’est la vieillesse. La mémoire ne fonctionne plus si bien mais on est toujours là et on profite de tous les moments donnés et heureux. «Qu’importe le passé, qu’importe l’avenir, c’est croire qu’elle ne doit jamais finir cette illusion d’une heure». Les jours heureux, y en a-t-il dans toute vie? Peu importe, je jouis pleinement de la vie, «tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir», dit-on. Et si l’espoir disparaissait avec la mémoire? Cette mémoire du futur qui nous happe et qui s’impose tout d’un coup au jour où l’on réalise que tout est fini.
Hélène Y.M.P.
Consigne : Poursuivre la phrase « Ma mère est un arbre fortuit » et/ou « Ma sœur est quelque chose de très simple, un verre renversé tombé de la table à manger »
Ma mère est un arbre fortuit d’où je viens. Accrochée à ses branches, je nais de son feuillage. Je fais essence avec elle par hasard, dans un cri puis en silence. Je me demande très tôt quelle sera la nature de nos liens, luxuriante, abondante, aride ou désertique. Un mélange de genre ou d’espèce, un rameau de l’arbre généalogique dont on ne connaît pas bien les origines. Un oiseau sur la branche, prête à m’envoler.
La pluie l’été, l’orage en automne font de nos saisons des ravages. Quand il fait soleil dans mes yeux, elle détourne le regard ou chausse des lunettes noires. Le temps ne fait pas merveille entre nous, il inquiète. Les mots ne disent pas grand-chose de nous, sauf s’il pleut des roses. Je sais alors que mon père est dans la pièce, sarment de vigne autour de sa petite pousse de fille, amère ou sucrée, elle fera de toutes façons un bon crû.
La mère rechigne et me désigne comme une herbe folle qui pousse trop vite. Je grandis mieux à l’air libre. Je me développe, je cours sur les toits, je m’arrache des lieux, je m’enracine ailleurs.
A la hauteur de ma petite sœur, ce quelque chose de très simple, un verre renversé tombé de la table à manger, je me hisse, je sors de terre, mes joues se plissent, j’embrasse le bébé-fleur d’un baiser de plume ou d’une eau salée. Une pluie tombait par là et je l’ai ramassée. Elle emplit mes yeux comme un arrosoir. Je déverse une à une les gouttes de rosée sur la bouche ravie de la petite fille qui rêvait d’une tétée.
La nuit si j’ai peur, mes pieds sortent du lit, pour s’agripper à la façade et je compte les étoiles. L’une d’elles finit toujours par me reconnaître et brille un peu mieux. Je bas des mains, de mes doigts, de mes veines, de ma sève.
L’ECHO – Le 5 Mars 2023
Docteur,
J’ai perdu la voix et avec elle son écho. Davantage qu’un chat dans la gorge, c’est parfois un lion qui rugit très exagérément, ou alors un murmure rocailleux qui serait passé par le chas d’une aiguille, ou qui se serait fracassé sur le roulis de quelques pierres, à flanc de montagne, quand il gèle et que le corps tout entier tressaille.
C’est insupportable !
L’écho de ma voix reste coi, voire étonné ou surpris, qui ne charrie plus son flot de paroles. Il reste à la traîne et ne produit plus son effet. Je me replie comme une feuille de papier, un peu usée, un peu jaunie, sans la verve du verbe, défaite et ahurie.
« Ce n’est pas possible ! » raille-t-on autour de moi, comme si je commettais la faute volontaire de cette faille acoustique comme un arc tendu qui retiendrait ses flèches. Serais-je Narcisse se noyant dans un reflet qu’on ne lui renverrait pas ?
Aussi, je préfère vous écrire plutôt que de m’adresser à vous de vive-voix, vous faîtes la fine bouche à chaque fois, vous parlez à ma place pour aller plus vite dites-vous. Il est vrai que les médecins savent tout et que la parole des gens, surtout si elle est amputée de sa réverbération sonore, vous agace un peu.
Comment me faire entendre avec çà, quand l’écho reste accroché à la fin de chaque mot, énigmatique et assourdi, privé de sa réplique et de son halo ?
Quand je suis dans un groupe, je n’essaie même plus de rivaliser avec les voix claires qui traversent le mur du son pour rejoindre celle ou celui qui se trouve au bout de la pièce, à eux les échos ! J’écoute, c’est parfois intense, sensible ou tout simplement grivois. Çà s’échappe parfois, l’écho fuit tel un miroir de soi, quelque chose que l’on ne maîtrise pas et que l’on ne peut pas rattraper. Cà claque, çà hue, çà hoquette, les voix sont fugitives mais leurs échos me restent, je suis à la fête. Je suis la seule à garder le souvenir de leurs claquettes. L’écho est plus fort que le son premier de la voix qu’il réplique à l’envi, c’est l’envers du décor, une fugue, un impromptu, une portée de mots sur un instrument à cordes, une envolée, un bruit de ruissellement que ferait un sac de billes dévalant un escalier. Je m’éloigne souvent dans ces cas là, j’enfile des perles. Quand la lumière est belle au dehors, j’observe. Faute de grives on mange des merles, un pis-aller, je me contente du brouhaha à défaut de nouvelles.
Je suis en désaccord avec ma voix quand l’écho me fait défaut et qu’il se bloque à l’orée d’une glotte trop dépliée pour resserrer ses liens.
Aussi, je triche avec les sons et si ma voix ne se fait pas suave, je raille ou je déraille, ce n’est pas grave. A la façon des aveugles, je parle en braille, une lueur éteinte à la surface des phrases. De cette façon, je réussis à déchirer le verbe, je le tords à foison, je fais moisson de mauvaises pensées que je livre à l’unisson : le pire attire davantage que le meilleur.
Le train change alors l’ordre de ses wagons, la locomotive passe à l’arrière, elle fait un boucan d’enfer, je crie, je vocifère et l’on finit par m’entendre ! Je suis de l’avis général une espèce d’eunuque, je parle faux, je parle mal, j’ai une voix de fausset, c’est quoi ce truc !
Le flux verbal prend alors une allure assez singulière, je m’évade ailleurs, ma voix finit par migrer et se fait l’écho du cœur, un charivari que d’aucuns ne devinent, je résonne à l’intérieur.
Voila Docteur que je peux vous dire de mon symptôme. C’est une dysphonie me dites-vous ? Je dirais aussi l’échographie d’un chagrin, quelque chose qui ne passe pas, une douleur sans nom, l’écho d’un malheur qui n’a pas trouvé son alter ego, une douleur du passé qui ne franchit pas la barrière sonore de la raison, quelque chose de brutal ou de sec que l’on ne répète pas d’un versant de montagne à un autre :
Un secret.
J’espère que vous ne vous ferez pas trop largement l’écho de mes confidences et que vous saurez rester discret. Je vous prie de recevoir, Docteur, mes sincères salutations,
Mme G.
Texte autour de l’écho
Écho, Écho, Écho, es-tu là ? Écho a disparu. Écho est introuvable ! Écho a pris ses cliques et ses claques. Écho a déclaré forfait, elle reprend – de droit – ses sabots, sa bouche, son dos. Elle a pris ses jambes à son cou, elle a sauté la clôture du pré et s’est enfouie dans la forêt.
Pour sa cavalière Archibalde c’est insupportable, sa jument représente sa colonne vertébrale, son âme soeur, son amie de toujours, la perle de ses jours et la perle de ses nuits. En cas de malheur, elle pleure sur son épaule, en cas de bonheur, elle exulte sur son dos lors de folles galopades. Lorsque les nuits sont chaudes, elle dort contre ses flancs enroulée dans une botte de foin.
Archibalde chante sa disparition à tous les échos, elle publie même une annonce dans « l’Écho du village » : « Si vous voyez une jument bai-brun répondant au nom d’Écho, faites-en moi l’écho, elle me manque terriblement ! » Archibalde se met à chercher sa jument partout, elle se rend même dans le Cirque de Gavarnie non loin de chez elle, se plante en haut du cirque et crie » Écho ! ». Et la résonance de ce cri se répercute telle une onde incantatrice dans tout l’espace du cirque » Écho Écho Écho… ». Et avant même d’émettre un second appel, elle entend à son tour de l’autre côté du cirque » Écho Écho Écho », et à nouveau à l’ouest et puis à l’est, tous les promeneurs du site, par jeu, se mettent à crier » Écho ! ». Cet écho multiple remplit le cirque jusqu’à former un concert d’échos, un orchestre symphonique, un opéra baroque qui fait tourner la tête d’Archibalde. Ce boucan, aussi musical et joyeux soit-il, ne peut rendre possible l’apparition d’Écho, si jamais elle est là, elle sera terrorisée et refusera de montrer le bout de ses naseaux.
Sur le chemin du retour, Archibalde plonge dans une profonde réflexion. Si Écho est partie c’est qu’elle a de bonnes raisons. Malgré leur entente fusionnelle, elle s’est carapatée ; « malgré ou « à cause » se demande Archibalde… La fusion peut être étouffante, et se faire grimper dessus tous les jours sans jamais ne l’avoir demandé, avoir un mors qui blesse la bouche, des mollets qui serrent les flancs, des talons qui cognent les côtes, qui le désirerait vraiment ? Écho a repris sa liberté, comment lui en vouloir ? Avec l’écho de cette pensée qui résonne dans sa tête, Archibalde s’éloigne peu à peu du manque, du ressentiment, de la tristesse, et se tourne lentement vers une forme d’acceptation.
En arrivant près de son chalet, elle croit distinguer une ombre grandissante qui semble l’attendre devant la porte ; elle croit entendre les petits sons gutturaux si familiers, avec lesquels Écho l’accueille chaque jour dans son pré. Plus elle avance, plus l’ombre grandit jusqu’à se fondre à l’obscurité. Et les sons entendus ne sont finalement que le mugissement du vent. Écho a bien repris sa liberté, elle est redevenue l’animal sauvage qu’elle est par essence, avant que l’homme n’ait des velléités de dressage.
Archibalde sourit, son fantôme n’a pas fini de l’habiter.
Anne-Laure
Et un petit acrostiche pour le plaisir :
Écho
Cavalcade
Hélas !
Obédience
Conte d’une rencontre extraordinaire (10/02/2023)
Dans la nuit nébuleuse de cette fin d’hiver, Ludivine se prélassait enveloppée de nuages doux et moelleux. Elle veillait sur la terre peuplée d’une faune éclectique et parsemée d’une flore variée, intense et riche.
Son influence était grande et certains animaux y étaient particulièrement sensibles comme le lapin, la brebis et le loup ! Ceux-ci vivaient dans des environnements complètement différents.
Le lapin se plaisait dans la garrigue et courait se réfugier dans son terrier quand il se sentait menacé. Mais la nuit, il ressortait à la lueur des rayons de Ludivine pour chasser quelque souriceau ou glaner quelques herbes. Il était surtout friand de serpolet qu’il consommait sans modération.
La brebis vivait dans un enclos, à l’abri des prédateurs et se contentait de brouter les verts pâturages.
Elle raffolait de la sauge dont elle faisait une cure à l’approche du printemps. Elle se faisait parfois engrosser par le bouc qui l’attrapait le soir dans la bergerie … Une nuit où Ludivine était pleine, elle mit bas un adorable agneau qu’elle lécha jusqu’au petit jour.
La forêt était le domaine du loup qui habituellement vivait en meute. Mais Abélard, un loup solitaire, avait été rejeté par son groupe et errait depuis des mois parmi les conifères et autres essences d’arbres. Quand Ludivine apparaissait à la nuit tombée dans le ciel d’encre noire, il se mettait à chanter, à hurler même parfois, pour attirer son attention.
Flattée de tant de démonstrations, Ludivine dansait, tournait, se cachait, se rapprochant davantage pour caresser le loup de ses rayons. Abélard se laissait faire et se couchait à ses pieds en signe de soumission. A l’aube, il allait boire au ruisseau où il pouvait encore admirer le reflet de sa bien-aimée et peut-être y trouver pitance si quel qu’agneau s’y désaltérait. L’ambroisie régnait sur les berges laissant pencher ses ombelles vers l’eau vive. Il devait y faire attention car cette fleur était hautement toxique.
Le printemps allait bientôt poindre son nez et les plantes jaillir de terre pour se développer.
Ludivine envoyait ses ondes toutes les nuits et veillait à ne favoriser personne. Aujourd’hui les fleurs, demain les légumes à feuilles puis racines, après-demain les arbres fruitiers et ainsi de suite …
Une nouvelle fleur venait d’apparaître au milieu d’un champ : elle portait des pétales jaunes et de larges feuilles. Elle grandit au fil des jours et des nuits jusqu’à devenir immense, aussi haute qu’un géant. Son cœur ressemblait à un gros gâteau marron, sa robe étincelait comme de l’or et ses feuilles d’un vert vif enveloppaient sa tige élancée.
Ludivine éblouie par tant de beauté la nomma Tournesol. C’est vrai qu’elle lui faisait tourner la tête et que d’enivrantes effluves la chatouillaient, l’empêchant de s’assoupir tranquillement à la nuit tombée.
A la voir de plus en plus excitée, Jupiter qui, jusque-là faisait le mort, jeta un sort à Ludivine et au Tournesol. « Ces deux-là doivent se rencontrer, cela ne pas peut durer comme ça « et ce disant, il lança ses foudres sur la terre. Ludivine en fut toute tourneboulée et se battit toute la nuit avec les éclairs.
Au petit jour, alors qu’elle s’effaçait doucement, elle fut réveillée par un homme qui paraît-il, avait grimpé toute la nuit le long d’une tige de tournesol dans l’espoir de la décrocher du ciel. Il se nommait Phoebus et brillait comme l’astre du jour. Ses bras étaient rutilants et de son corps émanait une chaleur douce et prometteuse. Ludivine se laissa enlacer par Phoebus et leurs lèvres se joignirent provocant un tourbillon de vent. Puis elle disparût derrière les nuages, jouant à cache-cache avec son amant. Il la couvrit de mille baisers fougueux et la pénétra jusqu’au cœur telle une flèche … .
Neuf mois plus tard, Ludivine enfanta de 9 étoiles toutes plus brillantes les unes que les autres. Phoebus assista à l’explosion et en fut tout chaviré. Ils nommèrent leur progéniture de noms scintillants comme Stella, Galaxie, Alba, Aurora, ….
Elles irradient toujours par les nuits de pleine lune, en attendant que le soleil se lève !
Surtout, ne ratez aucun rendez-vous, même le plus saugrenu ! Laissez vous guider par les astres dont l’attraction élève les êtres au-dessus de leurs corps.
« Il faut toujours viser la Lune car même en cas d’échec, on atterrit dans les Etoiles ! » (Oscar Wilde)
Michèle JANOLY
Atelier d’écriture 30 juin 2022
Le papillon
Je suis le papillon qui volette sans cesse dans l’air pur.
Oui, je signifie ou non la qualité de l’air.
J’accuse en effet l’univers entier de cette universelle pollution qui a failli m’exterminer.
Mais je renais ici ou là lorsque le soleil affleure.
Je suis la joie des humains, joie pour plusieurs raisons, joie parce que je les accompagne sur les chemins, papillonnant ici ou là, effleurant les fleurs, joie de l’émerveillement devant mes couleurs diverses, flamboyantes ou nacrées, vives ou pastelles, joie parce que je signifie le côté non seulement éphémère de la vie ce qui serait plutôt triste mais le côté fantaisiste de la vie, peut-être même désinvolte.
Je vis de peu et de rien, je suis juste décoratif, je ne sais que faire plaisir aux yeux, aux enfants, je suis le modèle du touche à tout, je suis le symbole des éternelles vacances où l’on papillonne partout, je suis artiste, sans cesse nouveau, sans cesse reflétant la lumière du soleil.
Le matin, je ne suis pas le premier levé, j’attends une certaine chaleur, j’attends que les rayons du soleil chauffent. Je sais vivre, moi, au contraire de ces hommes qui travaillent comme des fourmis jour et nuit. Non, j’ai mes heures, j’ai mes lieux.
Les hommes se trompent quand ils me déconsidèrent.
Il n’y a rien de futile dans la vie.
La gratuité de la vie et de la nature est par contre une nécessité vitale. Si les échanges entre les humains en prenaient de la graine au lieu d’évaluer et de chiffrer sans cesse toute chose, tout évènement, cela changerait la face du monde!
Voilà à quoi je sers. À réjouir, à émerveiller, à accueillir ce qui est donné, à être simplement heureux de vivre, à être heureux d’être libre quand on a la chance de l’être ce qui, il faut bien le dire, est loin d’être le cas de beaucoup dans le monde.
J’appartiens à la nature-mère, à la Terre-mère et je rappelle sans cesse ce don, cette vie, cette lumière, ce repos que les hommes méritent et dont ils ne profitent pas toujours assez dans leur course au profit et à l’efficacité.
Léger comme un papillon.
Oui, je signe ou non les progrès écologiques,
je signe ou non, comme les hirondelles aussi d’ailleurs, l’urgence climatique,
la qualité de l’air, où en est le réchauffement de la planète.
Ma vie se passe à faire plaisir gratuitement et j’en profite moi-même. C’est ça qui est merveilleux.
Je suis recherché pour mes espèces rares, certains essayent de m’attraper pour en faire des collections. Mais ce n’est pas une bonne idée.
Il faut me laisser vivre pour illuminer la terre, pour voir s’épanouir le sourire de l’enfant à mon passage. J’échappe à son filet mais s’il m’attrape, il faut qu’il me relâche, que j’émerveille encore l’univers sous le soleil.
Oui, hommes, cessez de vous plaindre, cessez de revendiquer, contentez-vous de ce que la nature donne, regardez-vous un instant les uns les autres, non comme chiens et chats, mais au contraire pour retourner vos cœurs et faire attention les uns aux autres avant tout.
La vie peut être si simple, si belle, si lumineuse.
C’est ça que je défends, j’illumine le moindre lieu de tristesse, je le change en émerveillement et chacun sait que l’émerveillement est le principe de la philosophie.
Voilà je l’ai dit, être un papillon, contrairement à ce qu’on croit, c’est une question de philosophie!
De philosophie de la vie!
…D’amour et d’eau fraîche!
…Là, voilà!
…Tout est dit!
Hélène Y.M.P. B
Atelier d’écriture Juin 2022
La condition des vaches
Quand je pais, en paix, dans les prés et que j’émets des pets en regardant passer les trains, quand je rumine ou quand je fulmine, quand je fabrique mon lait, qui jamais s’émeut de ma condition de pourvoyeuse de mets pour l’humanité entière ? Je viens de loin. Auroch jadis, libre et fière, me voilà domestique, avilie, exploitée, prisonnière aujourd’hui de la technique. Je suis traite avec des machines, d’un mouvement de doigt sur un clavier, hors de la présence des humains. On me lave les pis à coup d’antiseptiques, on ne me touche plus, on ne me chérit plus. On m’enlève mes petits dès que je les ai mis bas et je les entends pleurer. « Pleurer comme un veau » dit-on pour un humain très malheureux. Certains d’entre eux, plus tôt qu’à leur tour, s’en vont à l’abattoir dès qu’ils ont pris quelques kilos et qu’ils sont si beaux. Le ballet incessant des bétaillères dans la cour me donne la chair de poule, à quand mon tour ?
Pour l’humanité je donne tout, mon lait si souvent et fortement tiré, ma viande, ma peau, mes tripes et mes sabots. Tout y passe, on cuisine mes mamelles, ma cervelle, on me décarcasse, on se débarrasse de mes derniers restes dans quelque charnier que des chiens ou autres bestioles auront tôt fait de dévorer.
Aussi, quand je vous pète à la gueule, que çà fait du gaz et que çà pollue, demandez-vous pourquoi vous avez fait de moi un produit industriel, une non-espèce animale, enfermée dans des stalles, de plus en plus rarement à l’air libre pour goûter l’herbe des champs. Vous vous trompez, je n’aime pas les pâquerettes, je préfère le trèfle, à quatre feuilles, on ne sait jamais si çà portait chance. Laissez-moi faire et je nettoierai vos terres, je laisserai les fleurs aux abeilles, je vous donnerai votre pitance parce que je vous aime, vous et vos enfants qui jadis se léchaient les babines de l’or blanc des collines. Aujourd’hui on me stérilise, je ne vois plus le taureau, on m’ensemence avec des gants en plastique. L’insémination est artificielle, on me sélectionne, je ne vois plus personne, je me reproduis selon vos critères de rentabilité.
Je ne regarde plus les trains, ils vont trop vite, je broute si rarement que les voyageurs savent à peine qui je suis. On me voit dans les foires ou les fermes pédagogiques, les écoliers me découvrent comme une curiosité. On me trouve aussi dans les laboratoires. Savez-vous d’où vient le mot vaccin ? Il vient du mot « vacca », la vache en latin. Le mot vaccin vient de là quand on découvrait que je pouvais vous immuniser de vos maladies contagieuses. Un jour je suis devenue folle, vous m’aviez donné de la viande avariée et même du pétrole à manger. Mes quatre estomacs je vous le dis, n’ont pas apprécié ! Il ne faut pas jouer avec la nature. Je suis l’un des êtres le plus ancien sur cette terre, avec les vers ou les serpents, ou les moustiques peut-être.
Pourquoi transformez-vous les hommes en chair à canon et transformez-vous les vaches en usine à biberons ? Je devrais vivre 20 ou 25 ans en moyenne, je disparais en moins de huit, grâce à vos bons soins, bien moins pour les veaux, bien moins si je me blesse ou si je suis malade.
Je rêve d’un pré, je rêve d’une rivière ou je pourrais tremper mes naseaux dans une eau claire sous un chêne centenaire, à flanc de coteau. Vous pourriez, comme vos arrières grands pères, approcher doucement votre tabouret pour vous asseoir sous mes seins, me caresser le derrière et je vous donnerai sans compter le lait de la terre. Un jour, quelques unes de mes congénères on sauté la barrière et se sont retrouvées sur la voie ferroviaire. Depuis, les clôtures ont électriques. Le rêve de liberté s’est arrêté là.
Je vous raconte l’histoire d’une vache qui parle à l’oreille des hommes,
Personne ne s’y attache, je suis une bête de somme.
Chantal Nauleau Gantier
LA VACHE
Vous savez, Monsieur, je suis assez contente d’être une vache, heureuse même!
Je suis là dans mon pré, tranquille avec les copines. Parfois je broute dans mon coin, à d’autres moments, on se réunit à l’ombre pour tailler une bavette, allongées sur l’herbe. Les humains, pas finauds, disent qu’on rumine. Mais non, nous échangeons dans notre langue silencieuse.
Tu as vu celle-là, disons-nous quand passe la fille de la fermière, elle fait bien la fière! Elle ne nous jette même pas un regard, à croire que nous faisons partie du décor!
C’est amusant de voir passer les gens. Certains, des parisiens je crois, nous regardent comme s’ils n’avaient jamais vu une vache. Ils disent à leur loupiot : “Comment s’appelle cette grosse bête?” Et le garnement répond :” meuh”. Je ne vois pas le rapport avec nous, mais avec les parisiens on peut s’attendre à tout. D’autres, rarement, s’arrêtent, échangent des regards avec nous, et si je suis assez près de la clôture, me caressent le front. Je me laisse faire gentiment car je crois que c’est bon pour le tourisme, et le tourisme, ici, c’est important!
Mais ce que je préfère, c’est quand passent les trains. Il y en a quelques uns le matin et le soir. Je ne me lasse pas de les suivre du regard, comme des jouets qui traversent le paysage. De temps à autre, surgit un bolide avec un bruit épouvantable, si vite que l’on croit qu’il va quitter ses rails. Il en remue les entrailles de la terre. Il y a aussi des voitures, le camion de la laiterie, mais tout cela tranquille et calme sur nos petites routes étroites.
La pluie ne nous dérange pas trop, surtout que quelques grands arbres, des noyers dit le fermier, parsèment le pré de ci de là.
Ce qui manque maintenant c’est le taureau. Il y a bien longtemps que nous n’en n’avons pas vu. Quand il venait c’était une vraie fête. On était excitées comme des puces, et, joyeuses, on gambadait dans l’herbe! Maintenant nous sommes engrossées dans l’étable. C’est un bonhomme qui effectue le travail. Tu parles d’un plaisir!
De temps en temps on nous change de pré. Quand l’herbe devient très rase à force d’être broutée, sans attendre, le fermier nous emmène à côté. Quelle orgie de trèfle, de graminées, les premiers jours!
Franchement la vie ici serait belle si de temps en temps il y avait le taureau! Mais enfin, on fait comme les humains, on apprend à se contenter de ce que l’on a!
La fin de nos vies était autrefois attristée par la perspective de l’abattoir. Cela nous hantait! On disait que certaines souffrait le martyre avant d’être abattues : dans le camion, puis à l’arrivée et ensuite jusqu’à la fin.
Mais il paraît que ces horreurs sont terminées, que maintenant on est euthanasiée dans de bonnes conditions.
- Dis, Raymonde, comment s’appellent ceux qui s’occupent de nous?
- Je te l’ai déjà dit : c’est l’association L 214.
- Si vous les voyez, Monsieur, dites leur bien que très sincèrement nous les remercions!
30/06/2022. Guy Dumélie
Un pays comme un rêve
Le pays dont je rêve, je le transporte avec moi.
Il est dans mes micro-siestes, mes absences lorsqu’on me pose une question qui me dérange, mes silences face aux remarques qui me sont désagréables, mes sourires en coin face aux postures abusives ou déplacées.
Il est dans ma sidération quand je suis confrontée à de l’inconcevable, inconcevable pour mon éducation ou dans ce que ma nature profonde me dicte.
Mon pays rêvé, je le cache au fond de mes cellules, dans le goût que j’ai ou n’ai pas pour les choses de ce monde, dans mes papilles comme dans ma mémoire enfouie et oubliée.
Il se révèle au détour d’un chant, d’un cri d’enthousiasme ou de rejet ou dans une paralysie soudaine et transitoire provoquée par une parole, un geste ou la vue d’un objet.
Le pays dont je rêve n’existe pas, mais j’ai dû apprendre à l’apprivoiser. Il est fait d’émotions, de fantastiques réminiscences de paysages que je n’ai jamais connus mais dont j’ai toujours rêvé, même quand je ne le savais pas.
Il est fait d’autres scènes, d’autres temps, qui ne se reproduisent pas.
Parfois, je l’aperçois, évoqué dans un film ou un roman, dans une phrase, une photo, ou le devine dans la saveur d’un met, le fumet d’un plat, le parfum d’une fleur ou le goût d’un fruit.
Il me donne rendez-vous là où je ne l’attends pas, dans une fraction de seconde qui ne dure pas.
Il se laisse découvrir lors de recherches concentrées dans des périodes où je peux me réfugier hors des lieux, hors des temps.
Son appel est furtif, mais il a la force d’un « reviens-y, quand tu pourras ».
Et quand ce moment vient, il me faut soulever des pierres, enlever des draps, entrouvrir de lourds battants, écarter d’opaques voilages et creuser des sillons, comme un historien et un archéologue affrontent des documents, des paroles et des sols pour retrouver les traces d’un supposé réel.
Le pays dont je rêve appartient à un passé que je n’ai pas connu, il a été arraché aux souvenirs des récits que je n’ai pas entendus, dont l’écho me rattrape malgré moi à chaque moment gagné de paix.
Il est la terre perdue qui, aujourd’hui, de nouveau, s’entretue.
Il est celui de l’âme qu’on n’ose plus nommer russe.
Karine Yakovenko Duteil
Le rêve d’un voyage à l’envers
Je voudrais faire le voyage à l’envers de mon enfance, au pays de mon père qui cultivait la terre. Rêver que çà recommence, que chaque jour brille d’un éclat pareil au soleil qui se lève au petit matin, brume dans les yeux, tiédeur de l’édredon, crépitement des flammes, repas déjà qui fume pour nourrir les hommes. Les femmes, je l’ignorais alors, reproduisaient depuis des millénaires les gestes de la survie. Elles chantaient, elles me berçaient, et moi j’ignorais quelle abnégation était la leur. Je rêvais que cela ne cesse jamais, que je reste dans leurs bras l’unique héritière d’un bonheur que je croyais tranquille et sempiternel. Je rêvais de les remplacer, de devenir à mon tour des fondatrices de légendes ou des spécialistes de tartines beurrées, salées de préférence. Un doux mélange de traditions et de promesses d’un futur annoncé. Quand je me suis réveillée dans une HLM de banlieue, le ventre creux, avec en poche le rêve de ma mère qu’il fallait s’instruire pour devenir quelqu’un dans la vie, j’ai changé de braquet. Le rêve avait les couleurs glauques des pans gris des murailles toutes pareilles, du côté de Saint Denis. Je voulais tenir bon, tenir ma promesse de réussite mais je n’entendais plus rien des coqs de basse-cour, du cri des laies dans leurs soues, des oiseaux dans leurs nids, du meuglement des vaches, ni les aboiements annonciateurs de visiteurs qu’émettaient les chiens joyeux et vigilants. Je ne voyais plus rien de la belle étendue de nos champs quasiment incultes mais au moins, disait mon père, on est propriétaires. Il a tout vendu pour le rêve de ma mère, déménager, quitter le vent, la mer et les terres, envoyer les enfants à l’école.
J’ai du me tromper de porte ou me tromper d’époque ou me tromper de rêve. Çà ne sonnait plus pareil les cloches de l’église, même si à Saint Denis on les entend. C’est plus bruyant. La douce mélodie à mes oreilles de la procession de la Vierge quand tous les paysans du canton se réunissaient, mâtines allègres marquant l’évènement, ne fait plus recette. J’aimerais bien revenir en arrière, retrouver mon rêve d’antan. Marcher aux côtés de grand-père dans les ornières des chemins menant aux champs, avec Bijou, le cheval de labour qui hennissait différemment selon les saisons. Il n’aimait pas l’hiver. Moi si, à cause des friandises et du petit Jésus qu’on priait pour que se réalisent nos rêves de gamins.
Dans la tour d’immeubles au 14ème étage, là où le loyer était le moins cher, j’ai arrêté de rêver. « Tu vas y arriver », répétait ma mère. J’ai tout plaqué un soir d’hiver, comme Bijou qui n’aimait pas trop le brouillard. J’ai jeté mes cahiers. Ma mère pleurait et mon père disait « çà ne fait rien, vas, les rêves des riches c’est trop gros pour nous. T’en fais pas ma gamine, regarde autour de toi, mange la beauté. » On n’aurait pas dit mais il parlait bien mon père, il aimait les belles choses. S’il rêvait c’était de moi, quel plus beau bagage pour partir ?
J’y pensais tous les jours sur la route de mes voyages quand je suis partie vers le sud, là où il faisait beau tout le temps, pour que grand-père qui avait perdu sa jambe à la guerre, et pour Bijou qui n’aimait pas l’hiver, n’aient plus jamais froid.
Mes plus beaux rêves furent ceux là, la liberté dont je ne savais que faire mais qui pleuvait dans la mer. Mes cahiers quand même j’en avais emporté quelques uns, j’écrivais. Je rêvais d’autre chose et çà piquait les yeux. Je pensais à mon père qui disait que la beauté n’avait pas de prix. Je rêvais et je crois bien que depuis, je suis toujours endormie. C’était çà l’écologie, vivre de rien, rêver que tout est possible, et que Grand-père n’aurait jamais fait la guerre.
Chantal Nauleau Gantier – 5 mai 2022
Utopia
Il était une fois une contrée merveilleuse qui s’appelait Utopia. Tout le monde y vivait heureux dans le plus grand confort. Tout le monde se connaissait et était connecté les uns aux autres. De grandes fêtes réunissaient tout le monde. Le roi d’Utopia était très content. C’était une belle réussite.
Or il y avait dans les contrées voisines tout un cluster d’ennemis d’Utopia qui envisagèrent de détruire cette belle harmonie. Eux-mêmes étaient atteints d’une étrange maladie extrêmement contagieuse qui se propageait à toute vitesse. Ils décidèrent donc de passer incognito la frontière d’Utopia pourtant bien gardée à l’occasion du Carnaval du mardi gras où tout le monde est déguisé. Ainsi les ennemis trompèrent les sentinelles et entrèrent dans le pays afin de contaminer le plus de population possible à commencer par les plus fragiles. Certains s’infiltrèrent dans les EHPAD avec le prétexte d’y faire une petite animation. D’autres allèrent inviter les filles à danser tout contre eux. D’autres s’introduisirent dans des hôpitaux, des écoles, des universités pour que le virus se propage au plus vite par les plus jeunes. À la fin de la soirée les ennemis repassèrent la frontière comme si de rien n’était. La durée d’incubation du Coronavirus – Car c’était bien lui ! – étant de plusieurs jours, ni vus ni connus.
Les enfants et les jeunes filles asymptomatiques s’empressèrent de contaminer le maximum de personnes sans le savoir. Au bout de quelques jours, des personnes âgées moururent d’une insuffisance respiratoire. Une sorte de fièvre se répandit. On fit des recherches. Le roi convoqua son conseil scientifique. On ne comprenait pas d’où venait ce virus qu’on ne connaissait d’ailleurs pas. Grâce au service des renseignements on essaye de remonter la filière des personnes contaminées à la personne zéro. Impossible. On était débordé. Le conseil scientifique demanda une audience au roi : un confinement général devait être proclamé et un décret édicté. Tous les commerces fermés sauf ceux de première nécessité, toutes les usines à l’arrêt sauf les fournisseurs essentiels, le service des postes fermé, les sentinelles aux frontières renforcées pour ne pas contaminer les pays voisins que jusqu’ici le roi, occupé à rendre son peuple le plus heureux de la terre, ignorait totalement.
Restait à savoir d’où venait le Covid-56 ? Qui avait pu contaminer une population aussi bien portante et vivant dans des conditions optimales ? Le roi s’interrogeait sans en avoir beaucoup le temps. Utopia manquait de tout : plus de gel hydro-alcoolique, pas assez de masques FFP2, pas assez de lits d’hôpital. Tout le pays s’en allait à vau-l’eau. Le roi réfléchit, se rendit compte qu’il n’y arriverait pas tout seul et se dit que, peut-être, il serait temps de s’intéresser aux autres nations alentours. Il demanda à ses conseillers s’ils savaient quelque chose les concernant. Les conseillers étaient dans une ignorance totale. Le roi ne savait plus à qui se vouer. Il appela sa garde personnelle et leur intima de prendre des renseignements sur les rois des contrées alentours. Les gardes pour la première fois quittèrent Utopia pour aller se renseigner. Ils découvrirent des pays et des habitants qui leur racontèrent qu’ils sortaient d’un long confinement qui leur avait fait vaincre le virus. Restait à savoir comment le Covid-56 avait passé la frontière. Au retour des gardes, le roi convoqua donc les sentinelles qui lui assurèrent qu’ils n’avaient vu personne passer les frontières. Le roi envoya une délégation aux rois voisins pour demander comment ils avaient fait pour s’en sortir. Les rois répondirent qu’ils ne le connaissaient pas. Le roi pris alors conscience de son isolement et entrepris d’aller lui-même faire connaissance des nations voisines. Et bientôt tout rentra dans l’ordre. Les rois voisins qui avaient fait faire des recherches avaient déjà trouvé les remèdes nécessaires à l’épidémie. Ils furent si contents de connaître enfin cette nation, confinée sur elle-même qu’ils offrirent leur aide gratuitement au roi d’Utopia qui découvrit enfin la véritable liberté et l’étendit à tout son peuple en ouvrant grand les frontières.
Hélène
Voyelles… psychédéliques… à la Rimbaud ?
A. Rouge. Escabeau-chevalet. Support vertical bien ancré sur le sol, aplomb et élévation voire surélévation garanti(e)s. Renversement possible. Les deux pieds deviennent deux cornes de tête de vache. Le renversement provoque un cri « Ah… ! » Retour à la terre, aux origines, aux questions sur l’ordre des choses, pattes en l’air, tête en bas. Le sang alors afflue vers la tête et les pieds deviennent double sommet d’une base unique bien fichée dans le sol. Embarras du choix des directions : l’une ? L’autre ? Les deux ? Les trois ?
E. Jaune. Peigne, râteau. Pour démêler, ratisser. Peut éventuellement servir d’échelle, à condition d’être solidement arrimé à un mur. Attention de ne pas se blesser si les griffes sont pointues. On peut l’attraper par sa grande barre et se servir de ces griffes. Comme outil, ou comme arme. Très utile mais euh… on hésite, car dangereux, quand même.
i. Violet. Raideur et suspension. Strident. Comme le cri associé à la vision d’une souris trop furtive pour ne pas être terrifiante, même si l’on n’a pas d’ancêtre éléphant. I Comme une bougie au corps contenu et à la flamme vacillante. Ou vaillante, si l’on omet le C. I de l’hystérie, de la fragilité, du raidissement d’effroi et de la cire à froid, qui fond mollement sous l’effet d’une flamme.
U. vert. Très français, sinon on dirait « ou ». Creux mais accueillant. Ne verse que d’un côté car stable de l’autre. Une patère pour gaucher, si jamais l’on pensait à l’accrocher par son côté stable. U entraînant, comme le « Hue ! » à la mule qui se traine, chargée d’un fardeau trop exigeant. U très utile car on a toujours beaucoup trop à déposer, on ne sait jamais où. U stimulant, surtout pour autrui, déchargeant pour soi.
O. Bleu. De la surprise. On ne s’y attendait pas. On ne s’en remet pas, on n’en revient pas. S’éloigne à peine et revient d’où il est parti. Retour en boucle, bouche ouverte mais fermeture du cercle. O du mille, touché en plein dedans, failli l’avaler. Puis repart en bulles. Après tout, pourquoi pas ?
K.Y.D. 11/10/19
UNE AVENTURE ETRANGE
Comme chaque vendredi 13, mon ami John m’avait invité à le rejoindre dans son manoir situé au fin fond de l’Ecosse. Il était homme de rituels, trouvant que c’était là le meilleur moyen de structurer le temps qui passe. Et, par conséquent, depuis très longtemps nous nous retrouvions chez lui à chacune de ces coïncidences qui chez moi n’éveillaient aucun intérêt particulier. Je n’accordais aucune signification ni importance aux nombres, pas plus au 13 qu’au 7 ou au 3. Après tout, le 13 n’était que le lendemain du 12 et la veille du 14.
J’étais chaque fois très heureux de retrouver John. Nous avions vécu dans une grande proximité lors de nos études à Paris, puis chacun avait suivi son parcours professionnel, l’emmenant, lui, à Edimbourg, moi dans divers pays méditerranéens.
J’étais heureux dis-je, mais son manoir était totalement isolé, au coeur d’une forêt profonde, et à chaque voyage je ressentais une sourde inquiétude en commençant le long parcours à pied, sur un chemin incertain, le plus souvent à la nuit tombante, environné par les cris des chouettes et autres effraies, frôlé par l’aide d’un rapace qui surgissait tout à coup. Je n’étais rassuré que lorsque je devinais au loin la bâtisse éclairée.
Mais je savais que cette fois, cette vision ne suffirait pas à me rassurer. A vrai dire, j’étais
inquiet, inquiet à propos de la santé mentale de mon ami. Lors de mon dernier passage, il m’avait tenu des propos étranges, qui m’avaient d’abord étonnés, puis rapidement abasourdis. Dans quel état allais-je le retrouver?
Bien que la nuit s’avançait de plus en plus, je pressai le pas, autant par curiosité qu’à cause du froid, le thermomètre n’était-il pas descendu très bas pour la saison?
Enfin j’arrivai. Nestor, le fidèle valet vint m’ouvrir:
– Monsieur ne va pas tarder. Je tiens à prévenir Monsieur que Monsieur est un peu,
comment dire?, un peu fatigué, surmené? Je ne sais pas si Monsieur voit ce que je veux dire : nous vivons des temps légèrement particuliers. En attendant, Monsieur peut déguster de délicieuses cerises reverchon que nous avons reçues ce matin.
Et il me tendit un compotier recouvert de nacre, rempli de fruits d’un rouge sang.
Après m’avoir délesté de mon épais manteau, je m’assis au salon. L’atmosphère était
étrange, on aurait dit que les sons étaient assourdis, comme par l’action d’un étouffoir. Tout à coup, la double porte s’ouvrit et, sortant de l’obscurité, je vis surgir Nestor, nu, un
nez de clown au milieu de la figure, brandissant une hache, s’écriant à plusieurs reprises : «Arrière Satan!» et poussant des cris rauques!
Stupéfait par une telle vision, je jetais un regard dans le miroir, sur ma gauche. Derrière moi, mon ami apparaissait en gaine culotte et porte-jarretelles rouges, tenant une queue de rat dans une main et un tournevis dans l’autre. Sur un ton doucereux, il s’adressa à moi :
– Avant de croquer la pomme, un peu d’exercice nous mettra en condition! Et pourquoi pas une partie de ping-pong ! dit-il en jetant les yeux sur une raquette de tennis de table, posée à côté d’un cendrier et d’une bougie sur une table basse.
J’étais sidéré, cette demeure était devenue la maison des fous. Que faire? L’un courait toujours autour de la pièce, en brandissant sa hache et en poussant des cris d’orfraie, l’autre m’invitait à des jeux que je ne désirais nullement. Je sentis mon cerveau se disloquer, que bientôt moi aussi je les rejoindrais dans leur monde étrange et déréglé. Je ne parvenais pas à me décider.
Fuir dans la nuit m’apparaissait impossible, débuter la partie de ping-pong : non, merci. C’est alors qu’une sorte de princesse enveloppée d’un nuage de tulle s’avança, glissant sur le sol, entourée d’une horde de staphilins, qu’elle dirigeait du doigt. Les insectes, tels un très long essaim, suivaient docilement les indications provenant du doigt. Et cela faisait comme une longue traîne bruissante. Elle s’avança vers moi en souriant et me tendit une gousse d’ail. Chacun connaît les pouvoirs magiques de cette plante.
– Mange, dit-elle, et ensuite à l’aide de ce pinceau, tu pourras repeindre la réalité et lui rendre son aspect habituel. Cette perspective, bien que m’apparaissait peu réaliste et j’hésitais. Devais-je croire à ce que je pensais n’être qu’une nouvelle faribole?
– Alors tu viens, me dit-elle d’un air boudeur?
– J’arrive !
Sur ce, elle me coiffa le nez d’une pince à linge qu’elle sortit du tulle et, la tenant au bout d’une ficelle, m’emmena vers un ailleurs que je souhaitais apaisé, sinon heureux. Des séraphins jetaient des pétales de rose sur notre passage. Cela était rassurant. Après tout n’étions-nous pas un vendredi 13, jour où le destin s’octroie des fantaisies?
Guy Dumélie
« Assemble les fragments comme ils viennent » Virginia Woolf, 14 juin 2019
Une vie d’écriture en parallèle
Eparses morceaux de soi
Semés çà et là au gré des rencontres
Auteurs ou congénères
Qu’on génère ?
Il ya des espaces entre les choses
Entre les choses, entre les gens
Comme entre soi et soi
Boire le sombre, le boire cul-sec
Dose ambrée sur lèvres chaudes.
Ne pas raidir l’échine
Quand l’épine dorsal cliquète
Chanter doucement un hymne
Entre les houles de la tempête
Se reconnaître
Voyager avec soi
Parmi les autres
Assembler les fragments comme ils viennent
Sombre chanson saoûle d’homme
Sombre part de soi
A jeter au large
Lors d’une longue salvatrice marche
Loin des rivages
Peut-on tout dire, tout réunir
Accoucher de tout
Comme de soi
Le dire avec de la grâce
Sans donner du papier à manger
Comme un corps crie sa prière
Alors que le désir mouille
Trop de désirs
Attise les fouilles
Epuise les foules
Entête ou souille
Il doit bien y avoir des volets
Aux grandes fenêtres entrebaillées !
De la pudeur aux grandes idées
Pour dire le feu
Sous la glace
Et alors
Seulement alors
Chanter doucement l’hymne
Entre les houles
Apprivoisées
De la tempête.
Se laisser toucher par un regard… 2 août 2019
« Tu veux ma photo ? » crache l’ado en crise à quiconque ose poser un regard sur sa personne en mal d’amabilités.
Comment se sentir agressé-e à ce point par un regard pourtant anodin croisant le sien ?
Paranoïa pré-pubère qui s’imagine être la cible de toutes les mauvaises intentions ou expression inversée du besoin d’être considéré-e et reconsidéré-e… ?
Mystère.
Quelle épreuve, ensuite, l’immersion dans le grand Paris ! Dans ses réseaux de tuyaux surpeuplés d’inconnus, où le risque d’être importuné-e est si grand que l’application à ne croiser aucun regard devient un réflexe de survie.
Savoir se mouvoir dans les flux de façon à éviter tout contact visuel… Là, on ne dit pas bonjour quand on se croise, on ne dévisage pas, on ne salue pas comme on peut le faire au village.
Le contact physique est difficile à éviter, pourtant, tant on est serrés dans le métro, le RER et parfois même dans les stations.
Certains ne s’y gênent pas, en profitent, même, odieux frotteurs invisibles et malsains. Violence de l’immersion dans la foule, où le contact se produit sans prévenir et sans regard.
Agression du regard intrusif, aussi, de l’œil qui apparaît soudain dans la cloison de toilettes publiques universitaires, quand vous croyez justement être à l’abri.
Cible du regard d’autrui.
Ou provocation ?
Jeu de pouvoir… qui ne profite qu’à celui qui regarde. L’œil traque et abuse, viole l’intimité .
Le réflexe défensif de l’ado devient survie et sauve. Excès de bouclier ou armure nécessaire…
Parfois le regard manque. Un regard aimant sur un corps qui se transforme et ne se reconnaît plus lui-même. Se voir accepté et aimé dans le regard d’autrui rassure, renforce, apaise. L’ado s’apprivoise, s’accorde avec son évolution, accepte les nouvelles dimensions acquises et conquises.
Pouvoir bienfaisant du regard aimant, respectueux, altruiste.
Regard de parent ou regard d’amant, ne pas confondre, c’est important.
Accepter de se reconnaître soi sur une photo : qui est cette personne ? Est-ce vraiment soi ou ce qu’en a vu le-la photographe ?
Est-ce ainsi que je suis vu-e ? Suis-je cette image ou bien ce que je ressens de moi-même ?
Que faire de cette surprise, comment la vivre…
« Il y a des moments où deux regards qui se rencontrent se touchent ». A dit Alphonse Karr.
Encore faut-il qu’ils soient l’un et l’autre d’accord pour le faire.
Là commence le vrai problème.
… Ou se laisser regarder par un toucher ?
« Comme l’amour est aveugle, il est très important de toucher » dit un proverbe brésilien.
La séduction face à la cécité émotionnelle. Mise en scène foudroyante, coup de foudre spectateur, tentations de rencontres… Mais alors là, fétus de paille, vessies au lieu de lanternes, miroirs aux alouettes et mirages.
Derrière l’écran, la vitrine, l’image, plus rien.
Juste d’éventuels souvenirs, des rêves, des empreintes de fantômes.
Doux au regard, absents au toucher. Séduction manipulatrice contre attraction magnétique des fluides.
Karine
Terre mère
Les villages se vidaient.
Les jeunes laissaient les vieux à leurs potagers.
Les haricots verts avaient trop de fils et les mains calleuses griffaient les joues caressées.
La terre était dure, le sol était bas.
La télé ronronnait dans les foyers, l’école donnait d’autres idées. Et les villages mouraient. Ils se vidaient de leurs jeunes, de leur café-dépôt de pain-épicier.
Vingt ans plus tard, ils y reviennent. Les mêmes, ceux qui les ont quittés.
Bitume, plexigas et acier ont eu raison de leur belle santé même s’ils gonflaient leurs porte-monnaie.
Pour leurs enfants, ils y reviennent. Ils tentent de retrouver les gestes perdus que les anciens n’ont pas pu leur montrer, mieux attirés qu’ils étaient par la télé et les bédés.
Les liens se sont rompus, les racines ont cassé, à force de consommation en supermarchés, pommes de terre sous vide et tomates toute l’année.
Négligée, la terre a repris son lait.
Les oiseaux chantent encore, mais les insectes ont renoncé. Les vers ont déserté les poussières trop labourées.
Sillons à perte de vue, plus de haies, engins démesurés, traitements à volonté et agriculteurs endettés.
Usines à chips, stockage des denrées, conserves longues durées et attractivité des hypermarchés…
Sel et sucre n’ont plus manqué. Diabète et hypertension se sont installés.
Avec le lait de la terre, l’amour des êtres s’en est allé. Le désir d’avoir a succédé au plaisir de voir.
Avoir n’a pas apporté le bonheur.
Alors ils sont revenus.
Pour montrer à leurs enfants un monde meilleur.
Entre ciel et terre, ils marchent debout.
Le cœur dans les étoiles, entre deux épisodes de Starwars, ils remettent les mains dans la terre.
Ciborgs de la permaculture, cowboys péri-urbains, rappeurs de carottes et paysans des cités, la Terre-Mère les a tous rappelés.
Karine
Elévation, 1er février 2019
L’a pris du plomb dans l’aile, l’Père Papillon
Le tic-tac lourd de la sombre horloge comtoise
L’oriente vers les abîmes de son sommeil profond
Il est tombé sur la tête, chargé comme un dindon
Qu’aurait croisé un âne
A peine débâté, braillant à perdre l’âme
La peur d’être enferré
Quand l’aigle d’à-côté, l’esprit toujours perché
Sur les hauteurs de canopées
Aspire encore à de nouveaux sommets
L’espoir léger niché
Dans les volutes de brumes évaporées
Vise l’azur étincelant des nuées de l’été.
Plus haut que des peupliers, chênes et hêtres,
Rois des futaies
Rivalisent d’ambition avec les cathédrales de flèches
Exigées par les rois
Par-dessus les sols
Pour transmuter la vase et le poids des pêchés.
Karine
POEMES par Michèle
A LOU !
« Ma Lou, je coucherai ce soir »
Loin de toi et de tout espoir
De me trouver emberlificoté
Dans tes bras et tes filets.
Mon cœur gros bat la chamade
Mon cerveau se met en rade
Mon corps frissonne éperdument
Mon sexe résiste au giqulement …
Ton visage perce les lentes brumes
Du matin qui surprend ma plume
A glisser comme une caresse
Sur ton dos rond et sur tes fesses !
Ton odeur sucrée m’ensorcèle
Alors que je me tiens en selle,
Chevauchant mon destrier Aton,
Je dessine de mémoire ton bouton.
La guerre me tient prisonnier mais
« L’amour est libre, il n’est jamais soumis au sort ! » Ton Gustave
ELEVATION par Michèle
Dans le tombeau sombre où reposait son corps,
Englouti dans la maudite terre parmi les morts,
Et l’esprit libre de tout’ entrave mortelle,
Il s’envola comme l’oiseau, à tire d’aile ….
Loin des marécages humides et des eaux saumâtres,
Il chercha la lumière et la pureté d’albâtre,
Flotta longtemps dans le bleu sous-marin du ciel,
S’accrocha aux nuages aux couleurs de miel.
Quittant le labyrinthe d’obscures catacombes,
Espérant trouver la route des cieux étoilés,
Il plana au-dessus des forêts et des combes
Et traça son chemin à travers les nuées.
Guérie des chagrins et plaintes de la vie terrestre,
L’âme s’enveloppa de grâce et de soupirs célestes
Et s’éleva tel un cheveu d’ange vaporeux,
Rejoindre les colombes et paons de jour heureux !
Morte
Elle est venue me voir à la morgue juste avant l’autopsie . Je l’ai vue entrer dans ce parallélépipède tout gris que seule , une lumière froide et artificielle éclairait , une sorte de « néon » au-dessus de la double porte .
Cela faisait peut-être vingt ans ( quoique les années sans elle aient peut-être compté double ) que nous ne nous étions pas revues , et pourtant je la reconnus dès qu’elle entra . Certes le visage avait changé mais c’était toujours les mêmes traits ,la même silhouette , cette sorte de rudesse mêlée de sensibilité . De là d’où j’étais , le temps n’avait plus de prise et plus rien n’étonnait .
A peine franchi le seuil et la porte refermée derrière elle , elle s’arrêta comme presque intimidée soudain , déroutée . Elle sembla hésiter quelques secondes . Je ne bougeais pas . Je n’en avais de toutes les façons plus le choix . Et pourtant , sous mes paupières closes , je ne manquais rien de ce qui se passait ; soit qu’un mince entrefilet m’eut encore permis d’accéder à la vue humaine , soit que mon âme flottant autour de ce corps étendu là sur la table froide , n’ayant pas tout à fait quitté le séjour des mortels mais bénéficiant déjà – ou pour un temps – d’une vue supra-sensorielle , me permette cette vision.
Elle s’approcha , et tandis que je la reconnaissais mieux , elle me scruta attentivement . Le visage d’abord . De marbre .
De longues secondes de silence s’égrenaient . Elle s’approcha plus près encore , jusqu’à toucher la table à hauteur de son nombril . Elle restait là , le regard aiguisé et perdu , pensive . Puis elle leva la main et la plaça à quelques centimètres au-dessus de mon front . Quelque chose m’évoqua un semblant de chaleur vague , très lointaine . De son majeur , elle traça alors le sillon de cette ride profonde et verticale qui partait de la racine du nez vers le haut de mon front comme pour gommer la préoccupation triste qui l’avait entaillé . Elle le faisait déjà , il y a si longtemps , consciente de tout ce qui se tramait sous l’écorce de mon être . Puis de nouveau , comme se reprenant de son geste , elle enfonça ses mains dans les poches en cuir de son blouson . Entre chacun de ses mouvements , le silence marquait un intervalle .
Faisant alors le tour de la table , elle sembla inspecter sans préjugé vraiment ce qu’elle avait connu , et qui depuis tant d’années avait poursuivi sa route sans elle . Ces membres qui s’étaient usés ; la peau vieillie , le dessus des mains décharnées , les rides autour de la bouche , le même rictus encore mêlé d’amertume et de rire , la vibration molle des chairs autour des bras et des jambes , les talons asséchés et la peau squameuse de la plante des pieds . Enfin ces ruisseaux de veines figées par une eau glacée . Elle inspecta tout cela qui émergeait ou qu’elle devinait sous le mince pantalon de coton trop court que je portais encore et le tee-shirt glacé qui m’emballait .
Alors me faisant face , elle commença par les chevilles , les encerclant des deux anneaux de ses doigts minces . Le bracelet était lâche encore . A peine sentis-je une ébauche de contact sur ma peau tendue , jaune et transie . Elle resserra progressivement ses doigts et un peu de chaleur se communiqua à tout ce qui fut moi . Du plat de ses deux mains ouvertes , elle remonta ensuite le long des jambes comme pour les palper précautionneusement d’une pression pourtant ferme et assurée . On eut dit qu’elle voulait prendre connaissance de ce terrain si déroutant et si nouveau , renouer progressivement mais sans hésitation , avec ce qui surgissait de si ancien dans sa mémoire . Puis se redressant , elle regarda autour d’elle . Le vide et le silence étaient intacts .
J’entendis glisser le zip de son blouson qu’elle ôtait pour le mettre sur le dossier de la chaise que l’on avait posé là à l’intention d’ un visiteur zélé , puis releva très légèrement les manches de ce même pull râpé qui , d’usure , n’existerait bientôt plus et qu’elle avait piqué dans mon armoire .
Elle commença alors une danse de gestes autour de ce corps qui fut le mien . C’était le dos des bras qui se croisaient , se décroisaient sur mes tibias puis sur mes cuisses et qu’elle accompagnait du mouvement de son corps . Des mouvements enveloppants tournaient autour de mes hanches et des os du bassin pour remonter vers le ventre qu’elle semblait psalmodier de ses mains . Il était pourtant froid et dur mais elle paraissait ne pas vouloir s’y arrêter afin d’y éveiller un tant soit peu de son ancienne chaleur . Remontant sur les côtes et sur le buste entier , elle croisait maintenant ses mains comme pour y dessiner des croix , et imprimer à la masse pourtant étrangère et rétive , une esquisse de mouvement de rotation . Ses mains caressaient le sternum , dessinaient le dessous des seins , englobaient les épaules pour descendre affectueusement le long des bras si raides . Du creux de ses paumes , elle tourna autour des coudes grumeleux et descendit vers les poignets . Peut-être se souvenait-elle de ma sensibilité aux bracelets de ses mains . Elle imprimait maintenant de petits mouvements de rotation vers l’avant puis vers l’arrière simulant des torsions le long de mes avant-bras . Enfin , elle s’arrêta et mit ses mains sur les miennes si définitivement glacées . Ce geste , peut-être pour moi le plus intime , éveilla un soupçon de douleur . Elle cherchait , je le sentais , à me communiquer un peu de cette vie qui fut la nôtre et qui la débordait aussi . Ainsi resta t-elle quelques instants , le visage penché , dans son intensité dubitative . Sous ma peau si rigide et mes os anéantis , au fin fond d’un zeste de conscience , quelque part au fond de l’abime dans lequel je me trouvais , je crus discerner , quasi étranger à moi-même , un vague tressaillement . Elle fit une tentative pour glisser ses doigts , tout au moins l’un ou l’autre , à l’intérieur de mes paumes que mes doigts crispés avaient refermées . Je sentis à peine le bout d’un majeur ou d’un index effleurer la convergence des lignes de vie mais elle dut renoncer . S’en était fini pour ces doigts contractés que nul dégel n’assouplirait . Elle caressa mes mains et me regarda sans ciller , puis se penchant de nouveau , la tête à quelques centimètres de mon abdomen , croisa maintenant , des épaules aux chevilles , ses bras étendus en diagonale au-dessus de moi . Sa tête tournait tantôt à droite et je voyais alors la masse sombre de ses cheveux , tantôt à gauche où son visage à la fois impassible et sensible gardait lui aussi les yeux fermés .
Ce fut une danse comme de longues ailes qui cherchaient à m’envelopper non pour me retenir mais pour accompagner mon âme en souvenance de cette graine d’affection partagée , enfouie maintenant pour ne plus jamais germer . Enfin , laissant ses mains contre les miennes , elle fit mine de poser complètement sur mon ventre sa tête , sans l’appuyer cependant . Je sentais pourtant , à moins que je ne l’eus décidé , le lobe de son oreille aux abords de mon nombril .
Sûrement cet équilibre n’était-il pas si facile à tenir et elle se redressa , avant d’aller se placer derrière ma tête qu’elle encercla de ses deux mains . Je sentis la douceur de son geste . Elle caressait l’ovale de mon visage ayant soudain abandonné toutes les techniques de sa profession . Ses mains contre mes tempes remontaient puis descendaient le long de mes cheveux , cherchant bientôt la nuque pour soulever mon crâne blotti dans ses deux mains réunies . Enfin , elle se pencha pour embrasser ce front à l’exact endroit qu’elle s’était efforcée de lisser .
Elle embrassa aussi délicatement chacune de mes paupières au regard définitivement perdu , et finit furtivement par effleurer mes lèvres mutiques .
Elle avait accompli tous les gestes de notre dernière rencontre lorsqu’une dernière fois je m’étais trouvée sur sa table de massage et que le feu de bois réchauffait la pièce .
Alors elle se redressa , et prestement remis son blouson .
J’entendis le zip , à rebours .
Elle partit , sans se retourner , décidée et entière comme je l’avais toujours connue . La main sur la poignée de la porte , elle ne se retourna pas . Elle l’ouvrit et sortit , j’entrevis la lumière plus chaude du couloir dont elle amorça le virage . Je ne vis plus que son dos et la couleur indéfinissable de son blouson râpé , la masse sombre de ses cheveux au-dessus de son col . Le regard lui aussi avait tourné .
La pièce à nouveau était nue . Les murs d’un gris sombre suintaient d’un froid pourtant sec et les lumières impassibles retrouvaient leur rôle intact de sentinelle .
Une dernière sensation de froid me saisit puis mes paupières se scellèrent définitivement et je tombais roide au plus profond d’une nuit de pierre .
Florence, octobre 2015
Le printemps, 15 Mars 2015
Je suis une boule . Une boule de terre . Noire . Enfouie . Mon pied est humide de tous ces derniers mois passés dans la torpeur de l’hiver . Plus que du froid , c’est de l’humidité dont j’ai souffert . Je sens ce capuchon de terre m’aveugler , entrant dans les 10 000 écailles de mes yeux . Mes paupières sont lourdes de tout cet humus qui m’obstrue les narines . Je sens cette odeur grasse , ce poids sur mes épaules , cette chape de bure austère qui colle à ma nuque et emprisonne mes bras contre mon corps .
Depuis combien de temps enfouie , sertie de toutes parts , et sans le moindre mouvement , je gis dans ce terreau ?
Pourtant , un petit grain de vie s’éveille en mon cerveau . Puisque je parle , puisque je dis . Un petit grain s’éveille – un germe de conscience ? – et me chatouille l’esprit.
Ce n’est plus tout à fait le noir …
Au bout du long couloir , j’ai la vision d’un ver de terre , et de l’opaque , je passe au trouble . Un verre sablé derrière lequel frémit un peu de vie .
J’essaie de remuer mon pied engourdi et poisseux . Au bout de mes orteils , des filaments . Vais-je descendre plus bas ? Et pourtant quelque chose en moi s’érige ; une mémoire , un étonnement à vivre peut-être ? Une perpendiculaire qui me fait presque mal et pousse à l’intérieur . Cela part du pied , cette force qui monte , ce corps qui se déplie , mon être traversé …
Mon capuchon s’émiette . Cela me rappelle quelque chose …. C’est un peu de chaleur comme une main sur le haut de ma tête . J’essaie de me hisser et tout mon être pousse …
Mes yeux collants s’entr’ouvrent …
Au ras de mes pupilles , de l’herbe tendre et fraiche . Je voudrais la goûter , étendre un bras . Mais une longue feuille me devance déjà . Ce goût croquant de l’herbe m’éveille tout à fait !
Mon capuchon frisé fourmille de mille sensations . Ce sont toutes les fleurs qui germent en mon cerveau , et qui , très empressées , veulent , soulevant leurs écailles , éclore toutes à la fois .
Je tourne un peu la tête toujours froissée mais éblouie .
Elle me regarde et me sourit de tout son éclat jaune . Je ne vois qu’elle comme un immense soleil qui m’irradie .
– » Je suis la primevère » , dit-elle .
Et moi , j’entends ma voix qui dit : » Je suis une jacinthe . »
Florence
MES GLANEURS DE REVES
« Par certaine nuit spécialement claire, il m’arrivait de voir du mouvement dans » les buissons qui entouraient le champ à proximité de ma maison. J’imaginais des oiseaux venus là pour se reposer et se protéger des prédateurs.
Sous la lune que j’admirais de la fenêtre de ma chambre et qui me souriait, les arbres ressemblaient à des statues déglinguées, immobiles et enveloppées de voiles cotonneux.
Je les avais appelés « Les glaneurs de rêves » et tous les soirs, j’accrochais à leurs bras des étoiles, des papillons aux ailes diaphanes, des cheveux d’ange et des images colorées, sorte d’ex-voto(i) pour qu’ils exaucent mes souhaits durant la nuit.
Le vent faisait bruisser les feuilles du noyer et craquer les branches …. Puis soudain, le silence s’installait « et là, il était possible d’entendre une graine se former, l’âme se replier comme une nappe blanche ».
Le ciel s’assombrissait, l’astre resplendissait faisant danser quelques ombres fugaces sur le toit de la grange, plantée au milieu du pré.
J’allais alors allumer l’amadou de la lampe-tempête qui trônait dans la véranda, accrochée près de la porte. Depuis quelques temps déjà, mes amis et moi avions pris l’habitude de communiquer en nous envoyant des signaux, selon un code bien établi, d’une maison à l’autre du petit hameau où nous habitions. Le jeu des lumières faisait danser les haies au son du chant du ruisseau. La mélodie variait selon les saisons : plus douce en été, plus sautillante au printemps, « allegro » en automne et « forte » en hiver, avec les eaux diluviennes dues à la fonte des neiges.
Nous étions en automne et la pluie soudain se mit à tomber, mitraillant les vitres de la véranda. Les lueurs s’éteignirent brusquement et mon esprit vagabond me fit entrevoir un vieil homme à barbe blanche, drapé d’une cape et coiffé d’un haut-de-forme. Il devait être beau du temps de sa splendeur !.. Il avança un milieu du champ, s’arma d’un violon et d’un archet et commença à jouer un air de valse lente, langoureux et nostalgique.
Les étoiles et les papillons se détachèrent des branches des arbres glaneurs et ouvrirent le bal. Ils finirent dans un tourbillon endiablé puis se dispersèrent au gré du vent.
Le vieil homme me fit un signe de la tête, s’inclina et s’éclipsa à son tour pour regagner la cabane située près du mur de pierres, laissant le silence de la nuit reprendre sa place.
Un de mes rêves venait d’être exaucé et je me réveillais en plein sommeil paradoxal, phase V.
« Ma tâche n’avait rien eu d’exceptionnel mais simplement, j’avais pu arracher une pensée fugace, telle une touffe de laine, au peigne du vent ». FIN
Michèle JANOLY, automne 2017
Les glaneurs de rêve
Par certaines nuits spécialement claires , il m’arrivait de voir du mouvement dans les cheveux des saules qui bordaient la rivière tandis que leurs troncs s’agitaient de bras et de jambes .
C’était les soirs de pleine lune . Ma grand-mère m’avait appris à lire le calendrier et je me préparais , ces jours de circonférence pleine , à rester éveillée le plus longtemps possible . J’étais impatiente pourtant – comme chaque soir d’ailleurs – d’aller me coucher , car j’avais l’habitude de m’empêcher de dormir afin de prolonger les histoires extraordinaires qui m’arrivaient .
Ces soirs-là cependant , l’aventure prenait un relief un peu différent et plus étrange encore . Hissée sur une chaise , le corps en biais par dessus le haut radiateur , je guettais le galop de la lune dans l’embrasure de la fenêtre .
Il était alors encore plus tard que d’habitude et la maison tout autour de moi semblait enfouie dans un ténébreux silence .
La chaise , je l’avais déjà préparée . Je tirais les rideaux sombres de coton et ouvrait grand les vantaux de la fenêtre .
La lune face à moi écarquillait son halo tendre et diffus de lumière irréelle et froide . Je le recevais de plein fouet tandis que ma poitrine élargie , aspirait cette pleine lumière . J’étais foudroyée .
Des écharpes de lune et de vent me balayaient le visage , et immobile , j’attendais le mouvement du monde .
Rien ne bougeait tout d’abord .
Puis c’était tout doucement ; à peine perceptible . Petit à petit pourtant , les herbes des champs semblaient s’étirer pour osciller faiblement . Je les voyais s’allonger comme attirées par la blafarde et lumineuse opalescence . Chacune séparément , puis d’un mouvement conjoint , ample et lent , comme pour l’ouverture un peu solennelle d’une symphonie . C’était le moment que choisissait la chevelure des saules pour s’embraser , se tordre et se délier , orchestrant elle aussi un mouvement lent qui s’entremêlait de concert aux plis du vent .
Je voyais scintiller la rivière animée d’un rire silencieux que les vaguelettes psalmodiaient en secrets et invisibles grelots qu’accompagnaient bientôt le violoncelle des lucioles . Puis d’ invisibles grillons posaient leur archet sur des cordes sensibles .
L’orchestre de la nuit prenait sa place .
C’était un long mouvement ample et furtif à la fois , le vent balayant la campagne et éveillant sur son passage des notes claires-aigües , des harmoniques sombres et profondes , comme si des milliers de mains tapies dans les herbages , sous les pierres ou le bord du chemin , sur les berges de l’eau , au creux des troncs tordus , jouaient tantôt à l’unisson tantôt en solo , leur partition .
A califourchon sur le bord de la fenêtre , j’écoutais de tout mon soûl , à l’affût , de ci de là , d’une sonorité nouvelle , d’une consonance inattendue dont les ondes parcouraient le clavier de mon échine .
Mon père m’avait familiarisée depuis longtemps à la musique ; mais là , seule , face à l’étendue liquide du paysage , je captais de tous mes sens la polyphonie cosmique , le contrepoint nocturne à la visibilité des choses . J’écarquillais les yeux et mes tympans se dilataient aux notes les plus improbables .
Je m’emplissais d’un autre monde . Là , il était possible d’entendre une graine se former , d’entendre l’âme se replier comme une nappe blanche .
Les nymphes alors surgies des troncs accompagnaient parfois certains accords de leurs plaintes , complaintes , douleurs sombres ou petits rires en cascade . Puis les ombres s’y mettaient en une cavalcade de longs chevaux sombres qui courraient maintenant devant la lune en secouant la terre de leurs clair-obscurs : écharpes de nuées , chevaux , horses , exhorses …
Mais sur le côté gauche du champ qui prolongeait la maison , plus claire encore les soirs de pleine lune et comme faisant partie du paysage , se tenait la longère déglinguée, et blanchie à la chaux de notre étrange et singulier voisin . « Un vieux tzigane » , disaient mes parents , attiré là par le marais peut-être , ou la coasserie cocasse des grenouilles , pensai-je .
C’était le moment qu’il choisissait pour apparaitre . A la faveur d’une tache d’ombre , il surgissait soudain . J’entendais bientôt la première note suspendue de son violon , pour une complainte triste , un chant intense et vif et douloureux qui faisaient s’envoler des papillons , une supplique archaïque et sacrée que la lune couronnait de son halo . Tournant à peine la tête de peur d’être indiscrète , je le voyais émerger des roseaux , son fin visage légèrement dissymétrique penché sur son violon , aiguisant la lumière du bout de son archet . Il me savait à ma fenêtre . Nous n’en parlions jamais pourtant . Un jour que je l’avais rencontré en bordure de la ruelle qui longeait l’arrière de la maison , il m’avait simplement glissé dans la main un morceau de papier griffonné : les premières mesures de la partition qu’il improvisait les soirs de pleine lune et qu’il avait intitulé dans son hongrois d’origine: » A gyüjtök alon » : « Les glaneurs de rêve « …
Serai-je un jour prêtresse sacrée ? Chef d’un orchestre de vent ? Peindrai-je jamais le tableau que j’avais sous les yeux ?
Mais je pleurais soudain : jamais je ne serai cette pure lumière tandis que cet instant m’échappait déjà .
Je savais qu’il me faudrait grandir tout en gardant au fond de l’âme le regard clair de ces nuits de pleine lune , même si ma tâche n’aurait rien d’exceptionnel : arracher jour après jour une pensée fugace telle une touffe de laine aux peignes du vent .
Florence
Cabines téléphoniques
Palesne, fin des années 90.
Elle était encore là, la cabine téléphonique.
Dressée sur le trottoir mi-herbe, mi-gravier, près de l’abribus en plaques de béton sur le côté d’un espace dégagé réservé aux jeux des enfants attendant le ramassage scolaire, occupé une fois l’an par une brocante vide-grenier et le reste du temps par les mini-tournois de foot ou les parties de pétanque organisées par Renaldo, le propriétaire du seul café.
Avec ses parois de verre, son combiné en mélaminé relié au tableau métallique à boutons poussoir crasseux et sa porte à double battants coulissants qui prenaient le vent, elle avait l’air parachutée d’un autre monde, d’un autre temps. Elle posait là comme un équipement civilisé dans l’abandon rural d’une place dominée par le végétal.
Seuls les saisonniers agricoles exilés provisoirement du Maghreb, le temps de se refaire une maigre fortune, les utilisaient encore pour ce qu’elles étaient. Ils y appelaient leurs familles pour de longues conversation dans une langue d’ailleurs. Elle s’en trouvait élevée au rang de moyen de transport pour leurs effusions de cœur.
Sans doute y réglaient-ils aussi quelques affaires à traiter de loin, d’une voix autoritaire et fatiguée, pour que leurs familles ne se sentent pas abandonnées.
Les jeux de foot et de lancers de projectiles variés selon la saison eurent un jour raison des parois de verre, tout articulées et coulissantes fussent-elles. Elles commencèrent par se fendiller en un réseau complexe et serré aux sinuosités évoquant vaguement la terre craquelée de pays assoiffés, avant de tomber en miettes de cristal parmi les graviers.
Elle fut alors, mais sans grande urgence, enlevée de l’espace public pour ne jamais être remplacée.
Et l’on n’a plus jamais revu les saisonniers.
Sketch d’un autre temps, autre lieu
Dans une ville, près d’un jardin public avec un banc, une cabine téléphonique équipée d’un rideau coulissant.
Il s’y passe de drôles de choses…
Un policier est en faction près de la cabine. Il rêvasse en regardant d’un air distrait la circulation sur le boulevard.
Un cadre en costume en sort, ajustant sa cravate. Il s’éloigne d’un pas très pressé sans porter attention à une femme en pardessus serré qui manque de le bousculer.
Celle-ci se précipite dans la cabine, saisit le combiné. Sa conversation parvient aux oreilles du policier.
« Antoine, j’ai dû sortir de la voiture pour faire descendre le petit qui ne voulait pas aller à l’école. Il s’était attaché les pieds dans la ceinture de sécurité. Mais quand j’ai refermé les portières, la voiture s’est verrouillée de l’intérieur. La clé est restée sur le tableau de bord. Je n’y comprends rien à ce système de sécurité !
Je t’appelle d’une cabine téléphonique, là.
… Oui, sur le boulevard… Non, je suis coincée. En plus, je n’avais pas eu le temps de m’habiller.
… Non, pas toute nue ! En peignoir… Oui, dans la rue, mais j’ai quand même mon pardessus, par dessus.
Comment je fais ? Tu ne pourrais pas venir me chercher ? M’apporter le double de la clé ? Je vois bien un policier mais… »
Une femme du genre qualifié de mauvaise vie s’approche et commence à crier tout en frappant à la porte de la cabine :
- Dis donc, la morue, tu vas laisser la place, oui ? C’est mon espace privé ici. J’ai fini de taffer et c’est l’heure de me reposer.
Le policier s’approche :
- Veuillez circuler, s’il vous plait. La dame a des ennuis. Elle demande de l’aide à son mari.
- Des ennuis, des ennuis ! J’ai pas l’air d’en avoir, moi, des ennuis ? Et j’ai pas l’air d’une dame ? Elle va pas nous les pomper, la bourgeoise. Elle doit bien avoir un téléphone portable, elle a qu’à nous laisser l’immobilier.
Le policier, ennuyé :
- Madame, madame, sauf votre respect, ceci est une cabine téléphonique à usage public. Vous n’avez pas à en faire un usage privé.
- Non mais mon mignon, s’il-me-plait-ton-respect, on voit bien que t’es nouveau dans l’quartier, toi. T’y a pas encore goûté, à mon espace privé… Vire la bourgeoise.
KYD, octobre 2017
Les glaneurs de rêve
d’après Patti Smith, “L’esprit d’un enfant pareil à un baiser sur le front”
Par certaines nuits spécialement claires, il m’arrivait de voir du mouvement dans les noeuds du bois dont les portes de l’armoire de ma chambre à coucher étaient faites, chez ma grand-mère. Si je déviais le regard, les plis du rideau bougeaient à l’unisson.
Ne pouvant y échapper, je me laissais alors bercer et mener par ces formes tantôt obscures, tantôt lumineuses qui s’animaient au gré du ballet que mes yeux acceptaient de les voir jouer.
Les courbes et les cercles striés allaient et venaient, alimentant mes songes et mon esprit apaisé. Je me laissais aller à l’idée que des êtres protecteurs habitaient la matière du mobilier fabriqué, choisi et installé bien avant que je ne sois née.
Les vacances d’été étaient toujours longues, trop longues pour mes parents occupés. Ils m’envoyaient en passer une partie dans le Loiret.
J’étais l’enfant qui égayait le quotidien d’une grand-mère esseulée.
Nos journées étaient ponctuées de rituels. Elle préparait les repas et je mettais la table. On guettait le passage du facteur. Elle m’enseignait le tricot et la couture des boutons qui tombaient comme des fruits trop murs de mes vêtements bon marché.
J’aimais cette vie calme et tranquille.
Elle me choyait comme elle l’aurait fait d’une princesse déchue et oubliée.
Je l’écoutais évoquer des souvenirs lointains de mondes que je n’avais pas connu.
Et le temps s’écoulait, calme et serein, indifférent aux années.
J’aimais les visites au poulailler, côtoyer les moutons dans leur nuage de laine, énumérer les rangs du potager, cueillir les cerises sur les branches chargées et aider à étendre le linge sur le fil juste à côté.
Là, il était possible d’entendre l’âme se replier comme une nappe blanche…
Le soir au coucher, je me sentais encore pleine d’énergie, prête à veiller.
Alors, allongée dans les draps frais parfumés par le grand air, je laissais mon regard vagabonder dans le calme inerte de la chambre et scrutais quelques merveilles qui prolongeraient ma journée. J’avais pris l’habitude de les retrouver toujours aux mêmes heures et au même endroit, comme s’ils m’y attendaient, papillons aux ailes déployées ou cocons prêts à éclore dans la masse de bois teinté, contours sinueux tracés par l’outil du menuisier, mémoires d’un passé d’arbre de l’armoire.
J’avais interrogé ma grand-mère : croyait-elle que l’arbre vivait encore, une fois devenu armoire ? Essayait-il de me parler ? De m’avertir ?
Sa réponse ne fut pas très claire. Elle évoqua des glaneurs de rêve, des êtres de lumière qui n’apparaissaient qu’aux enfants ou à ceux qui en avaient gardé l’âme, le soir, dans la pénombre.
Elle me dit qu’ils étaient précieux et que je pouvais les aimer comme des êtres sacrés, qui guideraient mon âme au pays des songes.
Que devais-je faire pour les préserver ?
Je médite encore sa réponse… Ma tâche n’avait rien d’exceptionnel : “arracher une pensée fugace telle une touffe de laine au peigne du vent”.
K.Y.D., le 10 novembre 2017
RENAISSANCE au PRINTEMPS !
Le renouveau de la nature émerveille les cœurs endormis, enlacés dans ses ramures. Les timides violettes se pressent près de l’amandier qui ne demande qu’à fleurir. Le merle rit d’entendre le muguet agiter ses timides clochettes !
Les glycines frissonnent au souffle du vent et dégagent un parfum envoûtant. Les joncs somnolent au bord de l’eau et jouent la lumière du soleil. Ses rayons touchent doucement la terre et parsèment les prés verts de coquelicots vermeils !
Au son du gazouillis des oiseaux, une nymphe, aux courbes opulentes, porte à sa bouche la rosée éphémère ruisselant sur sa robe et caresse les pétales de l’anémone si douce … Son âme flotte dans l’air embaumé et s’élève dans le ciel azuré.
Les amants se regardent à nouveau et espèrent le retour de l’AMOUR !
Michèle
Un voyage imaginaire
Les murs de la maison étaient devenus trop étroits, les plafonds trop bas. Pour Sinbad il n’y avait que deux solutions : adopter les dimensions d’une petite souris ou se décider à quitter le nid trop exsangue. La première solution exigeait un pouvoir de métamorphose hors de portée ; la deuxième était tantôt terriblement excitante, tantôt fabuleusement effrayante.
Il allait de long en large, sur son tapis aux proportions de paillasson, ruminant, fulminant et désespérant de trouver une issue.
L’issue.
Un appel d’air ne suffirait pas Il lui fallait un moyen. S’échapper. S’envoler.
Pas disparaître, non. Evoluer. Exploser ces murs pour explorer le monde au-delà. Partir. Découvrir. VOYAGER. Vivre en grand. Déployer des ailes. Des ailes qu’il n’avait pas.
Il en était là de ses ruminations fulminantes, de ses rêves et espoirs désespérés lorsqu’une corde apparut devant ses yeux, surgie d’on ne sait où avec la force d’une invitation ferme et définitive à être saisie.
Sous l’effet de surprise, il faillit bien ne pas la saisir. Quelle bêtise ! Une tête pointa dans un trou du plafond :
« Allez, grimpe ! C’est pas le moment de flancher. C’est maintenant ou jamais. » Le ton engageant de cette voix avait un air de déjà entendu.
Mais où ?
Allez, Sinbad ! Monte. On part.
Bon, on verra.
Plus tard, Sinbad sentait déjà la caresse douce et fraîche du grand air sur son visage. Il saisit la corde, s’y agrippa et se laissa happer par son mouvement vers le ciel.
La tête avait disparu. Mais il en était sûr, maintenant ! Elle ne lui était pas inconnue.
Une fois extirpé du réduit qui l’avait jusque là abrité et protégé, Sinbad, toujours solidement agrippé à la corde, se laissa transporter dans un grand mouvement de balancier, dans un ciel limpide et serein, habité de quelques nuages moutonneux et placides, et déposer sur un sol vert, mousseux et soyeux à la fois. Incroyablement accueillant !
Ses yeux, qui avaient grandi dans l’obscurité, n’étaient pas encore remis de l’éblouissement qu’avait provoqué son voyage aérien. Il assura sa position sur ses pieds avant de les frotter de ses deux poings fermés.
Tout, autour, devint rouge, puis violet, puis orange ! et enfin bleu.
Des formes s’ébauchèrent peu à peu.
Un son étrange retentit.
Grincement, râlement, inspirant et expirant à plusieurs reprises… Un âne !
La forme plus précise ne fit plus aucun doute.
Sinbad l’enfourcha et partit au galop.
L’animal, complice, semblait connaître la destination. Sinbad s’en remit à lui, surpris d’être aussi facilement sorti de sa première réserve.
Par un étrange hasard, ce qu’il vivait là était exactement ce que ses rêves de la nuit passée lui avaient montré et qu’il bouillait de ne pas pouvoir réaliser avant de saisir la corde et d ‘entendre la voix de l’oncle Archibald.
Car c’était lui, c’est sûr, qu’il avait entr’aperçu dans la brèche du toit et dont la voix oubliée depuis si longtemps l’avait rappelé à son souvenir.
Oncle Archibald, que le goût de l’aventure avait éloigné de la maison et de la famille depuis si longtemps. Et si loin qu’on avait fini par le penser mort.
Il ne l’avait donc pas oublié.
Accroché à l’encolure de l’âne, Sinbad tentait de ne pas perdre une seule image du paysage.
La mousse avait laissé place à n sol d’abord sableux, puis plus dur, plus rocailleux. L’animal y était manifestement habitué. Rien ne freinait sa course, tout âne qu’il était.
Des arbres, des montagnes, des lacs… Sinbad n’en n’avait jamais vu autant.
Puis soudain, ce qui devait arriver arriva, lorsqu’on voyage sur un âne.
Il rua.
Projeté droit devant, Sinbad atterrit devant un bâtiment immense. Son portail large était décoré de mosaïques incrustées de pierres précieuses.
La lourde porte de bois coloré s ‘ouvrit en deux battants sur un personnage majestueux vêtu d’un long manteau de soie.
KYD, 28/08/15
L’Automne
« Le jardin nu sourit comme une face aimée… »
« Retiens-moi ! » voudrais-je l’entendre me supplier, au lieu d’assister, inerte, à sa lente agonie rouillée.
Agonie ! Quelle idée !
Mais non, il ne meurt pas, il s’endort.
« Ne t’inquiète pas, je reviens bientôt.
Regarde comme c’est beau.
Aime mon autre visage. Celui qui s’offre à toi dans son entière nudité.
Sans atour ni tralala, avec ses fleurs fanées et ses branches abandonnées.
Regarde comme mon sommeil est une nouvelle vie.
Regarde comme je m’habille d’or, de rouge et de feu, comme pour mieux t’inviter.
Ecoute le bruissement des feuilles foulées, amuse-toi du vol de celles qui continuent de tomber.
Sens-tu l’humus que tes pas ont frotté ?
As-tu goutté la châtaigne sucrée et la noisette que l’écureuil t’a laissées ?
Dis-moi, sais-tu encore, dans cette danse folle, où commence le ciel, et où s’arrête le sol ? »
Soudain la brume m’enveloppe et me rappelle à la torpeur de cette journée.
Poc-poc-poc-poc m’interpelle la forêt voisine où le bucheron œuvre pour les prochains feux de bois dans les cheminées.
Le sage alignement des bûches entassées m’appelle à une autre rêverie de cernes, et de carmins dorés.
Le soleil pâlit.
Mais où ai-je mis mon roman ? Il est grand temps d’aller me lover dans le canapé.
J’ai failli attraper froid.
« C’était fou d’en arriver là. »
K.Y-D., 25 septembre 2015